1. En posant la question de la postérité des idées
de Jeremy Bentham (1748-1832), on répond à une invitation formulée
par le philosophe lui-même. Dès ses premiers écrits, il
se donne comme mission la réforme du droit et de la société
dans son ensemble. Il participe directement aux débats politiques contemporains:
sur la Constitution britannique en 1776, sur les lois sur les pauvres à
la fin des années 1790, sur la réforme électorale après
1818, pour ne citer que quelques exemples[1].
Par ses nombreuses publications et une correspondance assidue avec des responsables
politiques, il cherche à influencer en parallèle l'opinion publique
et les dirigeants. Au cours des années 1820-1840, on retrouve dans
la vie politique britannique plusieurs personnes qui se réclament de
l'utilitarisme benthamien, comme Edwin Chadwick, par exemple, qui joue un
rôle important au sein de la Poor Law Commission de 1834. Dans
la sphère philosophique et politique, sa mémoire est entretenue
par John Stuart Mill.
Toutefois l'entreprise de Bentham s'est heurtée à plusieurs
écueils. Bien qu'il soit à la fin de sa vie une personnalité
souvent citée et que ses idées – résumées
toutefois à celle de l'utilité – soient largement connues
et reconnues, ses œuvres restent difficiles d'accès et peu lues[2].
La figure de Bentham continue à tenir une place importante dans le
débat public tout au long de l'époque victorienne. Pour de nombreux
contemporains, que ce soient Lord Brougham, John Stuart Mill ou Mme de Staël,
la première partie du XIXe siècle est l'"âge
de Bentham"[3].
A l'aube du XXe siècle, lorsque le juriste Albert Venn Dicey
souhaite présenter la société britannique à des
étudiants américains, il divise le siècle qui vient de
s'écouler en trois périodes: "I. The period of Old Toryism
or Legislative Quiescence (1800-1830)", "II. The Period of Benthamism or Individualism
(1825-1870)" et enfin "III. The Period of Collectivism (1865-1900)"[4].
Cette classification reprend ce qui apparaît à l'époque
comme des lieux communs. L'analyse de Dicey a un retentissement considérable
auprès de plusieurs générations d'étudiants et
de chercheurs, comme en témoignent les nombreuses rééditions
de ses textes. Dicey reprend à son compte l'idée que Bentham
a exercé une influence considérable sur l'activité législative
des années 1830 et 1840:
from 1825 onwards the teaching of Bentham exercised so potent an influence that to him is fairly ascribed that thorough-going though gradual amendment of the law of England which was one of the main results of the Reform Act[5].
La nature et la portée de l'influence de Bentham à l'époque
victorienne ont fait l'objet de nombreuses réévaluations depuis
la fin des années 1950, au moment où la notion d'influence elle-même
était remise en question sur le plan méthodologique. La première
partie de cet article retracera les différentes étapes des débats
historiographiques qui ont été consacrés à cette
question au cours du XXe siècle (§2 à 9). En
quels termes aborder aujourd'hui la question de l'influence? A partir de l'étude
des stratégies éditoriales et politiques d'Etienne Dumont, le
contemporain de Bentham qui traduit ses œuvres en langue française,
la seconde partie offrira des pistes de recherche, abandonnant la notion d'influence
pour se tourner vers celle de la transmission (§10 à 16).
2. Au cours des premières années du XXe siècle
paraissent deux interprétations majeures de la pensée de Bentham
et de ses successeurs: The English Utilitarians, de Leslie Stephen, et
La formation du radicalisme philosophique, d'Elie Halévy[6].
Ces deux auteurs cherchent, à travers l'étude de Bentham à
définir le rôle d'un penseur dans l'Histoire.
Leslie Stephen est aujourd'hui plus connu pour le rôle fondateur qu'il a joué dans la publication du Dictionary of National Biography. Mais il a également consacré les dernières années de sa vie à l'examen de la philosophie utilitariste: les trois volumes de The English Utilitarians sont dévolus respectivement à Bentham, James Mill et John Stuart Mill. Comme Dicey, il pose d'emblée leur influence en matière législative:
The English Utilitarians of whom I am about to give some account were a group of men who for three generations had a conspicuous influence upon English thought and political action. Jeremy Bentham, James Mill, and John Stuart Mill were successively their leaders[7].
Ces penseurs appartiennent, souligne Stephen, à une catégorie particulière parmi les philosophes, il oppose les métaphysiciens aux hommes véritablement engagés dans l'action politique:
I deal not with philosophers meditating upon Being and not-Being, but with men actively engaged in framing political platforms and carrying on popular agitations[8].
Stephen cherche également à définir sur un plan théorique les rapports qu'une pensée peut entretenir avec l'Histoire. Pour lui, la question de l'influence est nécessairement pluridirectionnelle: la pensée est influencée par le moment de l'Histoire dans lequel elle s'inscrit, mais à certaines conditions elle peut, et doit, influer en retour sur les événements:
When the existing order ceases to be satisfactory; when conquest or commerce has welded nations together and brought conflicting creeds into cohesion; when industrial development has modified the old class relations; or when the governing classes have ceased to discharge their functions, new principles are demanded and new prophets arise. The philosopher may then become the mouthpiece of the new order, and innocently take himself to be its originator. His doctrines were fruitless so long as the soil was not prepared for the seed[9].
Il s'agit donc bien d'étudier l'alchimie particulière entre un penseur et son siècle. L'étude des idées de Jeremy Bentham, James Mill et John Stuart Mill vient illustrer cette idée. Dans les trois volumes de The English Utilitarians, Stephen montre en quoi la philosophie utilitariste est le produit d'une situation politique et sociale spécifique, celle de la Grande-Bretagne du début du XIXe siècle. Ainsi, la présentation de la doctrine de Bentham n'apparaît qu'à la fin du volume qui lui est consacré, après une étude des contextes politique, économique, social et intellectuel puis un chapitre strictement biographique. Selon Stephen, c'est parce qu'il était inscrit dans un moment particulier de l'Histoire que l'utilitarisme a pu avoir une influence décisive en matière politique. Il montre en quoi les événements des dernières années de la vie de Bentham témoignent du triomphe des idées utilitaristes, de leur banalisation:
The Reform Bill had been hailed as inaugurating a new era; the Utilitarians thought that they had made a solid lodgement in the fortress, and looked forward to complete occupation. The world was going their way; their doctrines were triumphing; and if those who accepted their conclusions claimed the credit of originating the movement, the true faith was advancing. Triumph by other hands should be a sufficient reward for preachers who preferred solid success to personal glory[10].
Pourtant, à partir du milieu du siècle, constate Stephen, l'influence politique des utilitaristes décline, alors même que, dans les écrits de John Stuart Mill la philosophie trouve sa formulation la plus aboutie et la plus reconnue. Ce triomphe philosophique s'accompagne donc d'une défaite politique. Pour Stephen, les causes de cet échec tiennent aux ambiguïtés mêmes de la pensée utilitariste. En matière politique, l'attachement de Bentham et de ses successeurs à la démocratie et à la centralisation administrative aboutit à une impasse:
the philosophical radicals found that they were creating a Frankenstein. They were not limiting the sphere of government in general, only giving power to a new class which would in many ways use it more energetically[11].
Cette critique entend porter directement sur le projet politique de Bentham,
dont le programme repose sur la dénonciation des intérêts
de ceux qui détiennent le pouvoir (sinister interests) [12].
En créant une nouvelle classe administrative, bureaucratique, animée
par des intérêts propres, l'utilitarisme ne pouvait que se dissoudre
dans une contradiction irrémédiable. Stephen évoque avec
amertume la carrière des anciens Benthamiens et montre en quoi elle
contredit les espérances de leur maître[13].
Dans le troisième volume, il note que l'échec du programme politique
de John Stuart Mill vient confirmer cette rupture entre la pensée utilitariste
et la société.
3. On ne peut comprendre la trame esquissée par Stephen qu'en référence
au positivisme d'Auguste Comte dont il s'inspire largement. Comte s'était
donné comme programme d'étudier les rapports entre "la théorie"
et "la coordination des faits observés"[14].
Pour lui, la pensée fait partie intégrante de l'Histoire, selon
l'état de la société à un moment donné. Pour
reprendre sa terminologie, "les savants" ont une responsabilité importante
lorsqu'il s'agit de faire passer la société toute entière
de "l'état métaphysique" à "l'état positif". Ces
savants, porte-parole unanimes de la philosophie positive, doivent, comme l'explique
John Stuart Mill dans son compte-rendu de la philosophie comtienne, "guider
les opinions des hommes, ainsi qu'éclairer et avertir leur conscience"[15].
Comte met en avant le rôle des idées et du développement
intellectuel, moteurs du progrès de l'humanité.
Stephen, agnostique proclamé, a été attiré dans sa jeunesse par la "religion positiviste" prônée par Comte et connaît bien sa philosophie. Appliquant le schéma de son maître, il ne peut que conclure, à la fin du siècle, à l'échec de la régénération positiviste: l'unanimité philosophique annoncée ne s'est pas faite[16]. C'est en examinant l'interaction entre la pensée d'un groupe de philosophes, en l'occurrence les utilitaristes anglais, et l'histoire sociale et politique de leur temps qu'il cherche à comprendre ce défaut de transmission philosophique. Il insiste sur le fait que l'opinion populaire a suivi un chemin différent de celui que lui indiquaient les philosophes. L'utilitarisme a donc échoué dans sa tâche car il n'a pas réussi s'élever au-dessus du terreau social dont il était issu. Stephen espère qu'un autre système philosophique viendra bientôt renverser cette perspective:
In the last resort no doubt a definitive system of belief once elaborated would repose upon universally valid truths and determine, instead of being determined by, the corresponding social order[17].
4. Elie Halévy apprend la parution du volume de Leslie Stephen alors qu'il est en train de rédiger La Formation du Radicalisme Philosophique, en 1900. Il écrit à l'un de ses correspondants:
je viens de passer tout un jour à lire l'ouvrage de mon concurrent. Le livre est excellent; [...]. Mais mon livre, malgré l'identité des sujets, ne ressemble pas au sien, et le complète sur beaucoup de points.
Stephen est également très bien disposé à l'égard
de son jeune collègue français, à la sortie des deux
premiers volumes de La Formation du radicalisme philosophique, il lui
écrit: "We have, it is true, told the same story in different ways;
but the ways are so different that we do not interfere with each other"[18].
Aujourd'hui, pourtant, l'ouvrage de Stephen souffre de la comparaison avec
celui d'Halévy[19].
Stephen et Halévy partent du postulat commun selon lequel la philosophie de Bentham est représentative d'un certain état d'esprit propre aux Britanniques du premier tiers du XIXe siècle. Halévy écrit au début du premier volume:
Le propre des écrivains de l'école utilitaire, et, entre tous, de Bentham, ce sera d'être moins de grands inventeurs que de grands arrangeurs d'idées : n'est-ce pas grâce à ce génie de l'arrangement logique que, réduisant en formules la philosophie courante de leur pays et de leur siècle, ils réussiront à constituer une école, où se professera une doctrine collective[20].
Leur programme est comparable dans la mesure où ils cherchent tous
deux à mettre en lumière la nature des liens entre la philosophie
et l'Histoire. Mais alors que la perspective de Stephen se rétrécissait,
allant jusqu'à faire de l'utilitarisme une philosophie sans prise avec
le réel, celle d'Halévy s'élargit et inscrit la pensée
de Bentham et de ses disciples dans le mouvement de l'Histoire. En outre,
Halévy tente de s'émanciper des visions téléologiques,
qu'elles soient positivistes ou encore marxistes.
La formation philosophique d'Elie Halévy, normalien puis agrégé
de philosophie en 1892, explique en partie son refus du positivisme comtien[21].
En réaction au kantisme et au spiritualisme qui ont constitué
l'essentiel de l'enseignement qu'il a reçu, il se tourne vers l'étude
de Platon, dont la posture lui semble emblématique du rôle du
philosophe dans la cité[22].
En 1891, il écrit:
Il est nécessaire d'agir contre le misérable positivisme dont nous sortons, et l'agaçante religiosité où nous risquons de nous embourber, de fonder une philosophie de l'action et de la réflexion, d'être rationalistes avec rage[23].
C'est dans esprit qu'il aborde l'utilitarisme de Bentham, le sujet qui lui permettra d'effectuer sa propre transition de la philosophie à l'Histoire. Présentant son projet en 1896, il écrit à Célestin Bouglé:
J'étudie la biographie de Bentham, où je montrerai le type du philosophe simpliste, qui est aussi le type du philosophe réformateur et du penseur non-universitaire. Une fois B[entham] enterré, je passe à ses œuvres, et j'entrevois des abîmes de projets législatifs, de plans financiers et de châteaux en Espagne. Ensuite, qu'en sortira-t-il pour plus tard? Une théorie de la société? ou une théorie de la démocratie moderne? ou une Histoire de l'Angleterre? L'avenir me révélera moi-même à moi-même, et me dira dans lequel de ces trois cercles je m'enfermerai[24].
La carrière intellectuelle d'Halévy dans son ensemble peut être considérée comme une réponse à ces questions fondamentales. C'est l'Histoire de l'Angleterre, finalement, qui retiendra le plus durablement son attention: il publie de 1912 à 1932 une magistrale Histoire du peuple anglais au XIXe siècle dont le but affirmé est de "comprendre comment les diverses séries de phénomènes – politiques, économiques, religieux – s'interpénètrent, réagissent les uns sur les autres"[25]. A la mort d'Halévy, évoquant sa carrière d'historien, Léon Brunschvicg rendra hommage à l'héritage platonicien de son ami:
Si Platon a eu à cœur, avant tout, de dépasser, pour le salut de la cité, l'opposition d'une critique purement spéculative et d'une politique purement empirique, l'œuvre d'Elie Halévy s'explique par la fidélité à l'inspiration de Platon [...] A ses yeux, la connexion de la théorie et de la pratique est la raison d'être de l'effort philosophique[26].
5. Halévy applique une grille de lecture similaire à son étude de l'utilitarisme. Dans La formation du radicalisme philosophique, il cherche à montrer comment cette philosophie est devenue le terreau sur lequel a mûri l'individualisme britannique dans la première partie du XIXe siècle[27]. Dans la longue conclusion qui clôt le troisième volume, il définit les limites chronologiques de l'ère de l'utilitarisme et ses évolutions de Bentham à John Stuart Mill. Il insiste sur le lien étroit qui unit la doctrine philosophique à l'action politique, en particulier au début des années 1830. A propos des disciples immédiats de Bentham, il remarque:
Leur exclusivisme et leur pédantisme [ne] s'expliquent-ils pas par leur fidélité à une idée qui a été l'objet de leur adhésion réfléchie? [...] Le succès récompense bientôt leur intrépidité: ils entrent en nombre dans le Parlement réformé, et peuvent essayer d'y constituer, pour la première fois dans l'histoire de l'Angleterre parlementaire, un parti de doctrinaires[28].
Au delà de la réussite de ce petit groupe, l'utilitarisme se révèle, pour Halévy, comme l'une des manifestations de l'individualisme qui forge l'identité du XIXe siècle dans son ensemble:
L'apparition même et le succès des doctrines individualiste suffiraient déjà à prouver que, dans la société occidentale, l'individualisme est le vrai. L'individualisme est le caractère commun du droit romain et de la morale chrétienne. L'individualisme est ce qui fait la ressemblance entre les philosophies, si diverses d'ailleurs, de Rousseau, de Kant, de Bentham. Il est permis, aujourd'hui encore, de plaider la cause de l'individualisme[29].
Mais il poursuit:
ce qu'il convient de reprocher aux philosophes utilitaires, ce n'est pas d'avoir été des rationalistes et des individualistes, mais bien de n'avoir pas tiré peut-être de leur rationalisme et de leur individualisme toutes les conséquences qu'ils comportent. Mais, vraie ou fausse, bienfaisante ou néfaste, l'action qu'ils ont eu sur leur siècle et sur leur pays paraît avoir été immense[30].
Toutefois, comme Stephen, il observe une faille à l'intérieur du programme philosophique de l'utilitarisme. Ce n'est qu'à la fin de la vie de John Stuart Mill que la contradiction philosophique qui fonde l'utilitarisme, selon Halévy, se déploie dans la société: au libéralisme auquel mène l'affirmation de "l'identité naturelle des intérêts" s'oppose le socialisme qui voit dans l'Etat l'instrument de "l'identification artificielle des intérêts"[31]. L'ouvrage s'achève sur ce constat:
La contradiction qui existe entre les deux principes sur lesquels se fonde l'utilitarisme apparaît maintenant à tous les yeux: le radicalisme philosophique a épuisé son activité, dans l'histoire de la pensée et de la législation anglaises[32].
Pour Stephen comme pour Halévy, l'étude de l'influence de l'utilitarisme apparaît comme le produit de leurs espérances, ou de leurs regrets,
à l'aube du XXe siècle.
6. Dans la lignée de ces études fondatrices, au siècle
suivant on cherche à quantifier cette influence de façon plus
précise et plus concrète. Les débats historiographiques des
années 1950 illustrent ce recadrage conceptuel et ont eu des
répercussions directes sur les études benthamiennes.
Ce sont les historiens qui ont reposé la question de l'influence de
Bentham dans le cadre de travaux sur les réformes administratives britanniques
au XIXe siècle. A cette époque, à la suite d'Herbert
Butterfield, un nombre croissant d'historiens britanniques dénoncent
les partis pris téléologiques de l'"historiographie whig"[33]
et les grand narratives qu'ils ont élaborés.
Au cours des années 1950 et 1960 paraissent une série d'articles consacrés à l'influence de Bentham sur la "révolution victorienne" en matière politique (on entend alors par cette expression le renforcement du rôle social de l'Etat et de la centralisation). Tandis que les spécialistes de l'Histoire du droit du début du siècle, souvent whigs déclarés, comme Dicey et Radzinowicz, tendaient à faire de Bentham une influence déterminante sur l'évolution législative[34], les historiens des années 1950 et 1960 tendent au contraire à la discréditer. Dans l'ouvrage de Norman Gash, Aristocracy and People, on trouve cette formule lapidaire:
Had Bentham never lived, most of the reforms popularly ascribed to his influence would probably have come about. [...] In practice, the expansion of government activity in the early nineteenth century was inadequate, unplanned, piecemeal and spasmodic[35].
D'autres articles, comme celui d'Oliver MacDonagh[36]
mettent sur les décisions pragmatiques et ponctuelles qui ont fait
advenir ces réformes, pour eux, le rôle idéologique de
Bentham n'est pas quantifiable et son étude n'est pas pertinente. La
déconstruction de la notion d'influence apparaît alors comme
une étape indispensable dans la remise en question de l'impact des
idées et des idéologies sur le cours de l'Histoire. C'est à
ce titre que ces auteurs ont pu être qualifiés d'"historiens
tory" par Jenifer Hart dans un article publié dans Past and
Present en 1965 et qui reprend à titre d'exemple leur analyse de
la postérité des idées de Bentham[37].
De façon plus précise, l'ouvrage de William Thomas, The Philosophic
Radicals, paru en 1979, dénonce à son tour le "mythe" de
l'influence de Bentham en matière politique. A travers une étude
de la carrière politique des jeunes gens qui se réclament des
idées de Bentham au cours des années 1820-1830 (appelés
par John Stuart Mill les "philosophic radicals"), Thomas critique directement
l'analyse d'Elie Halévy, qui en faisait les porte-parole de l'idéologie
benthamienne:
Halévy's account of philosophic radicalism tends to blur the political distinctions which dominated the daily lives of the men themselves, substituting instead highly abstract issues which can hardly have troubled them[38].
Il conclut en indiquant que résoudre la question de l'influence de
Bentham doit être considéré comme "a practical impossibility".
7. En réponse à ces attaques émanant du milieu historique[39],
Stephen Conway (historien et éditeur scientifique de la correspondance
de Bentham au sein du Bentham Project de University College London)
a voulu légitimer de nouveau l'étude de la postérité
des idées du philosophe. Dans un article rédigé au début
des années 1990, il rappelle que la pensée de Bentham est ancrée
dans la réflexion et dans la pratique politique de son temps, que certains
de ses disciples ont été directement impliqués dans des
réformes importantes et enfin que certains réformateurs de la
génération suivante, sans avoir connu Bentham directement, peuvent
légitimement se réclamer de ses idées par le biais des
présentations qu'en donnent John Stuart Mill et la Westminster Review[40].
Toutefois, une telle lecture ne répond pas directement aux objections
des critiques. On peut effectivement rappeler que Bentham propose, dans le Constitutional
Code publié en 1830, l'enregistrement officiel de l'état-civil[41]
et faire le lien avec l'adoption, en 1836 du Registration Act, mais doit-on
pour autant y voir son influence? A l'inverse, il serait facile de trouver dans
ses écrits de nombreuses propositions qui n'ont eu aucun écho.
Il faut prendre en compte le caractère même de la pensée
de Bentham qui a souvent des accents prophétiques et se déploie
à travers de multiples projets concrets de réformes.
Deuxièmement, à la suite de William Thomas, on doit étudier le décalage entre la perception générale de l'œuvre de Bentham par ses contemporains et le contenu de ses ouvrages. Il y a, chez ceux qui se réclament de ses idées en matière politique, une part de stratégie qui demande à être évaluée[42]. C'est en particulier le cas de Brougham, dont Bentham fustige souvent la mollesse en matière de réforme, et qui se réclame pourtant de son patronage pour présenter ses projets de réforme juridique au parlement.
Enfin, en ce qui concerne la diffusion des idées de Bentham, John Stuart Mill lui-même ne cache pas son ambivalence à l'égard de sa doctrine: on ne peut considérer qu'il transmet les idées de son maître que si l'on fait la part des transformations qu'il leur fait subir en les intégrant à son propre système. Quant à la Westminster Review, on peut montrer qu'il se dégage de ses pages un "benthamisme minimal", une expression qui recouvrirait l'appel répété au "plus grand bonheur du plus grand nombre", une approche quantitative des questions politiques, la lutte contre l'imposition de l'intérêt d'un groupe social ou politique au détriment de l'intérêt du plus grand nombre[43]. Ces idées et leur formulation sont effectivement celles de Bentham, mais comment évaluer la portée de principes si généraux sur l'évolution politique du demi-siècle qui suit? L'étude des moyens de transmission des idées ne se conçoit pas sans une analyse du contenu des idées qui sont transmises.
8. L'histoire intellectuelle telle qu'elle se construit dans les pays anglo-saxons
dans le dernier tiers du XXe siècle se propose d'échapper
aussi bien aux visions téléologiques de l'histoire qu'à
une fragmentation vertigineuse du champ politique. James Tully résume
les objectifs de l'histoire intellectuelle en ces termes: "interpretation
of historical texts; surveyance of ideological formation and change; and analysis
of the relation of ideology to the political action it represents"[44].
L'histoire intellectuelle définie par Quentin Skinner et James Tully
se donne comme programme l'analyse contextuelle des textes du passé.
Comme le rappellent les études de Leslie Stephen et d'Elie Halévy
abordées précédemment, cette problématique n'est
pas nouvelle. Mais cette nouvelle discipline entend mettre en œuvre une
méthodologie plus rigoureuse dans l'articulation de l'analyse historique
et philosophique. Elle contribue à déconstruire le "canon" des
grands penseurs qui dominaient jusqu'alors une histoire qui était plutôt
celle des "grandes idées" que celles des contextes intellectuels, dans
leur dimension souvent peu rationnelle, répétitive ou encore
paradoxale.
Sans qu'il soit besoin ici de revenir en détail sur les postulats fondateurs
de cette approche, on peut mesurer en quoi elle a permis de reposer la question
de l'influence. Dans l'histoire des idées, dans le sens le étroit
donné à cette appellation par Skinner, on recherche chez tel
ou tel penseur les traces de l'influence qu'auraient exercée sur lui
ses illustres prédécesseurs. On est prompt, comme le dénonce
volontiers Skinner, à reconstruire artificiellement des "dialogues"
entre les philosophes, par delà les siècles. Les théoriciens
de l'histoire intellectuelle veulent montrer qu'en s'intéressant à
des textes ignorés jusqu'alors par le "canon" on peut mettre en évidence
d'autres types de dialogues: entre un écrivain et l'opinion publique,
ou encore entre un écrivain et des polémistes considérés
traditionnellement comme mineurs. En outre, l'histoire intellectuelle impose
de se défaire, autant qu'il est possible, d'un regard rétrospectif
sur les textes et les auteurs étudiés. En analysant de manière
fine le contexte de réception d'une œuvre ou d'une idée,
la réalité historique présente souvent une image fragmentée.
Cela a conduit Quentin Skinner à rejeter explicitement la notion d'influence[45].
Son jugement est sans appel:
It is [...] scarcely an exaggeration to say that the whole repertoire of Einfluss-studies in the history of ideas is based on nothing better than the capacity of the observer to foreshorten the past by filling it with his own reminiscences[46].
Dans un ouvrage récent, Stefan Collini résume les acquis de l'histoire intellectuelle et affirme qu'elle n'a plus à se justifier en terme d'influence des idées sur les événements[47]. Doit-on pour autant abandonner l'étude de la postérité des idées et des systèmes au-delà du contexte immédiat de leur production? On trouve chez certains une attitude moins pessimiste. John Dunn, par exemple, ne ferme pas entièrement la porte à ce type d'étude mais réclame une méthodologie rigoureuse:
Unlike most human actions, great texts also have a protracted and wildly differentiated fate. That fate often stands (indeed perhaps always stands) in a somewhat always ironical relation to its author's original intentions. [...] Studies of the fate of great texts could be immensely fascinating, as well as exceptionally illuminating. But they are also dismayingly demanding, not simply for the range of imaginative sympathy and the degree of intellectual control for which they call, but also for the sheer quantity of grubby and often unrewarding archival labour which they necessarily require[48].
9. Ces nouvelles approches méthodologiques ont accompagné le
renouveau des études benthamiennes. L'ouvrage de Frederick Rosen, Bentham,
Byron and Greece, paru en 1992, retrace l'implication du philosophe dans
le philhellénisme des années 1820 et la façon dont ses
idées ont été relayée et utilisées en Grèce
et en Grande-Bretagne[49]. Il
s'inscrit explicitement dans la tradition interprétative ouverte par
Quentin Skinner, tout en accordant un rôle plus important à la
notion d'influence en explorant les différents registres discursifs
à l'intérieur d'un contexte donné. Rosen établit
une distinction entre la pensée d'un philosophe et le programme idéologique
de ceux qui peuvent s'en réclamer. La séparation entre "théorie"
et "idéologie" est posée comme principe organisateur de l'ouvrage[50].
Ainsi, après avoir présenté la théorie constitutionnelle
de Bentham et son évolution dans les différents contextes où
ses idées ont pris naissance, il analyse l'utilisation de ses thèses
par les polémistes et aventuriers Edward Blaquiere et Leicester Stanhope
à l'occasion de leur implication dans le mouvement philhellène.
John Dinwiddy est également l'héritier de ces débats
méthodologiques. Pour éviter les confusions entre le discours
d'un philosophe et les idées que lui attribuent ceux qui s'en réclament,
il propose de distinguer un "esoteric Bentham" – le philosophe original,
prolifique et systématique tel qu'il apparaît dans des manuscrits
qui restent en grande partie inédits – et un "historic Bentham"
– tel qu'il est lu à l'époque et tel qu'il transparaît
dans les discours de ses contemporains. En tant qu'historien, c'est à
cette seconde figure qu'il s'attache exclusivement. Retenant les leçons
de l'histoire intellectuelle, il se fixe un programme limité: "[to
look] at the ways in which his ideas circulated, the places they reached,
and the sort of impact they made, in the early nineteenth-century." Il ne
peut pourtant que conclure en ces termes: "much of Bentham's influence in
England was of a rather general and intangible kind"[51].
De même que F. Rosen estimait nécessaire un détour par
la Grèce pour comprendre la façon dont les idées de Bentham
avaient été mises au service d'une cause particulière,
dans l'article cité précédemment, J. Dinwiddy se penche
sur le destin des ouvrages de Bentham en Amérique Latine. On ne peut
comprendre ces deux pistes de recherche qu'en explorant l'une des particularités
de la diffusion des idées de ce philosophe au XIXe siècle:
alors qu'en Grande-Bretagne c'est le nom de Bentham, plus que ses textes qui
est cité et utilisé, dans le reste de l'Europe et en Amérique
Latine, ses ouvrages sont lus et commentés. Ce paradoxe est dû
au rôle particulier joué par Etienne Dumont, le contemporain
qui compile et traduit ses manuscrits en français dès 1802.
10. Comme la partie précédente a voulu le montrer, le concept
d'influence ne paraît plus aujourd'hui pertinent pour étudier
les modalités de la transmission et de la réception des idées.
Afin de s'affranchir des imprécisions, l'histoire intellectuelle doit
se pencher sur les aspects concrets de la transmission: ses agents, ses vecteurs.
Le cas d'Etienne Dumont, passeur de l'utilitarisme benthamien, constitue en
la matière un cas d'école. Dumont se donne véritablement
pour mission de diffuser les idées de Bentham dès 1792. Les
moyens concrets qu'il utilise fournissent un éclairage précieux
sur les stratégies et les réseaux qui permettent les transferts
intellectuels au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle.
Cette partie de l'étude est prospective, elle entend poser des pistes
de recherches explorées actuellement au sein de plusieurs groupes de
travail[52].
Pierre-Etienne-Louis Dumont est né en 1759 dans une famille calviniste
appartenant à la Bourgeoisie de Genève[53].
Ordonné pasteur dans l'Eglise réformée, il évolue
dans un milieu intellectuel, politique et religieux fortement marqué
par la figure de Jean-Jacques Rousseau. Ses notes de jeunesse dessinent le
portrait d'un homme éclairé, admirateur de Jean-Jacques, grand
lecteur des parutions littéraires, philosophiques et scientifiques
de son temps. Il admire "la morale à l'antique", cite Cicéron
et Tite-Live. Il prend des notes sur les ouvrages d'Adam Smith et de Dugald
Stewart[54]. Ses lectures le conduisent
à porter un regard critique sur la religion: il tente de réconcilier
le message divin avec les postulats rationalistes et républicains qu'il
admire. En cela, il est l'héritier du courant calviniste rationaliste
implanté à Genève depuis le début du siècle[55].
En politique, Dumont soutient le parti des "Représentants", issu de
la Bourgeoisie, qui réclame tout au long du siècle l'ouverture
du système oligarchique genevois qui réserve alors l'essentiel
du pouvoir aux Citoyens issus des familles aristocratiques.
Avec le soutien de la monarchie française, la ville de Genève
bannit en 1782 les membres du parti des Représentants, auteurs d'un
coup d'état manqué. Bien que Dumont n'ait pas pris part directement
à ces troubles, il se trouve visé par la répression qui
s'ensuit. En effet, il défend dans ses sermons des idées dont
le républicanisme affiché est considéré comme
subversif. C'est pour cette raison que le jeune pasteur s'exile à Saint-Pétersbourg
en 1783. De là, il rejoint l'Angleterre en 1786, entrant au service
de Lord Lansdowne en tant que précepteur pour son plus jeune fils[56].
Chez Dumont, la nécessité de l'exil se joint au goût des voyages. Passé de la Suisse à l'Angleterre via la Russie, il part pour la France en 1789 où il travaille avec Mirabeau. Après la Révolution genevoise, il tente de rentrer dans sa ville natale en 1792, mais revient à Londres quelques mois plus tard, déçu par les premières manifestations de la Terreur[57] qui touchent la région. C'est à Londres qu'il se fixe jusqu'en 1814, tout en effectuant épisodiquement des séjours à Paris et en Russie. Une fois restaurée l'indépendance de Genève vis-à-vis de la France, en 1814, il s'établit enfin définitivement dans sa ville natale, poursuivant ses voyages jusqu'à sa mort en 1829. Le voyage est pour Etienne Dumont un plaisir autant qu'une source d'instruction. Dans les nombreux carnets conservés dans ses archives, il rend compte de ses fréquentations, de ses lectures, de ses visites[58].
11. Dumont rencontre probablement Jeremy Bentham en avril 1788[59]. Dans le long passage qu'il consacre à cette rencontre, Elie Halévy montre qu'elle a été rendue possible grâce à la conjonction de différents réseaux personnels, politiques et religieux.
Romilly a fait par Brand Hollis la connaissance de Mirabeau, par Mirabeau celle de Benjamin Vaughan, par Benjamin Vaughan, enfin, celle de lord Lansdowne, qui lui demande des renseignements sur un ancien pasteur nommé Dumont, de nationalité suisse, dont il songe à faire le précepteur d'un de ses fils. Les relations de lord Lansdowne et de Romilly deviennent intimes; Bentham, à son retour de Russie, en 1788, vient passer quelque temps au château de Bowood, y rencontre Romilly, qu'il a déjà connu à Lincoln's Inn, et Dumont, à qui Romilly communique quelques manuscrits de Bentham. La même année, Dumont va passer, en compagnie de Romilly, deux mois à Paris; Mirabeau, par l'intermédiaire de Wilson, voit Dumont à l'hôtel où il est descendu avec Romilly, fait sa conquête. Dans l'espace de quelques mois, grâce à Romilly, Dumont de Genève a trouvé sa voie, comme secrétaire intime de Mirabeau, d'une part, et, d'autre part, comme disciple, éditeur et rédacteur de Bentham[60].
L'impression de tourbillon intellectuel, politique et mondain provoquée par ce passage est caractéristique de la fascination que le cercle rassemblé autour de Lord Lansdowne à Bowood peut inspirer[61]. On peut toutefois définir plus précisément les différents réseaux à l'intersection desquels se produit la rencontre entre Bentham et Dumont.
Bentham fréquente Lansdowne depuis 1781[62].
Il fait chez lui la connaissance du jeune Samuel Romilly, futur attorney
general, dont il partage la formation juridique et avec lequel il se lie
d'une amitié durable. D'origine huguenote, Romilly est allié
à plusieurs familles de Genève. Par le biais du pasteur Jean-Marc
Roget, l'époux de sa sœur, il se rend à Genève en
1782 et y fait la connaissance d'Etienne Dumont qui vient d'être ordonné
pasteur. C'est sur la recommandation de Romilly que ce dernier sera engagé
par Lansdowne en 1786. C'est aussi par Romilly que Dumont et Bentham sont
mis en contact en 1788, Romilly confiant à Dumont des manuscrits que
Bentham avait rédigés en français à l'occasion
de la convocation des Etats-Généraux[63].
On connaît le rôle joué par le cercle de Bowood dans la
structuration d'une réflexion démocratique en Grande-Bretagne
après la Déclaration d'Indépendance américaine[64].
Shelburne accueille également en 1782 les exilés genevois bannis
par le gouvernement. Il reçoit François d'Ivernois et facilite
son installation en territoire britannique. D'Ivernois se joint à Romilly
pour recommander Etienne Dumont à son protecteur.
12. La rencontre de Dumont avec Bentham est capitale pour les deux hommes. En 1832, après la mort du Genevois, son neveu Duval écrit:
[La liaison avec Bentham] influa d'une manière complète sur ses opinions et ses travaux et [...] détermina, pour ainsi dire, sa carrière. [...] Pénétré d'une vive admiration pour le génie de cet homme extraordinaire, profondément convaincu de la vérité de sa théorie et frappé des conséquences pratiques qui en découlaient si naturellement, il appliqua tous ses talents à faire connaître les écrits du publiciste anglais[65].
Cette description est conforme aux témoignages de plusieurs de ses
proches. La romancière Maria Edgeworth note après l'une de ses
visites à Genève: "Dumont lives the life of a French savant
in society – wants nothing more and seems to have sold himself to Bentham
as Dr. Faustus sold himself to the devil."[66]
De retour en Grande-Bretagne en 1792, Dumont demande à Bentham la permission
de consulter ses manuscrits inédits afin de les traduire en français[67].
Bentham lui envoie régulièrement des textes jusqu'au milieu
des années 1820. Jusqu'à sa mort, Dumont consacre une grande
partie de ses journées à les lire, à les traduire et
à les compiler. Sa correspondance témoigne de ce travail permanent,
où le temps passé à travailler sur Bentham vient s'ajouter,
à partir de 1815, aux activités politiques genevoises[68].
Dumont ne cache pas son enthousiasme. Il écrit par exemple à
Bentham en 1792:
J'ai employé quelques jours à parcourir les manuscrits et surtout les tables. Quoique j'eusse les plus hautes idées de l'ouvrage, mon attente est encore surpassée. Il y a de quoi faire rentrer dans le néant tout ce qu'on a publié sur ces matières[69].
Même en faisant la part de la flatterie, on trouve bien d'autres preuves de l'effet profond et durable qu'ont les idées de Bentham sur Dumont. Dans ses carnets personnels, il ramène en permanence ses lectures aux critères utilitaristes. Parmi de nombreux exemples, ses remarques sur Kant sont éclairantes:
Une observation assez humiliante pour le Kantisme, c'est qu'après tout, avec toutes les formes de la cognition, avec tous leurs principes a priori, avec ces belles idées sur la non-réalité des phénomènes, ils n'ont pas encore fait la plus petite découverte en physique: tandis que cette philosophie expérimentale qu'ils dédaignent si fort nous a révélé le système du monde et a produit l'astronomie, la physique, la chymie [sic], et je puis dire enfin, d'après les ouvrages de Bentham, la morale et la législation[70].
Dumont met également sa connaissance intime de Bentham à profit dans ses réflexions personnelles sur les sujets qui lui tiennent à cœur: il prend de nombreuses notes sur des points qui, pour être importants dans la pensée de Bentham, ne sont pas ceux auxquels le philosophe consacre le plus grand nombre de feuillets. Ainsi, les recensions de Dumont reviennent périodiquement sur des sujets tels que la morale, le bonheur, le mariage. Sa formation rousseauiste et calviniste transparaît dans ces passages. Sur ces thèmes, il est souvent difficile de savoir si les notes contenues dans les carnets sont des synthèses de la pensée de Bentham ou bien les réflexions personnelles de Dumont, tant le vocabulaire et l'expression sont proches. Toutefois, Dumont ne partage pas en tout les idées de son mentor, et les textes sur la morale sexuelle et sur la religion en fournissent un très bon exemple[71]. Sur le plan politique, également, leurs opinions s'éloignent fortement à partir des années 1810, lorsque Bentham prend publiquement position en faveur de la réforme radicale du suffrage en Grande-Bretagne. Dumont, qui reste familier de Lansdowne House après la mort de son protecteur, a vu son républicanisme de jeunesse se transmuer en whiggisme[72].
13. Le rôle de passeur d'idées semble bien correspondre à Etienne Dumont. Outre le temps et l'énergie qu'il consacre à faire connaître les idées de Bentham, il rédige en 1799 ses Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières assemblées législatives (qui ne paraîtront qu'à titre posthume, à sa demande). Dans la préface de cet ouvrage, il justifie son entreprise en ces termes:
Mes amis m'ont souvent pressé d'écrire les détails que je leur communiquais en conversation, mais j'ai éprouvé jusqu'à présent une invincible répugnance à faire un récit où il faut moi-même me mettre en scène[73].
La timidité de Dumont est d'ailleurs bien connue, comme le note Cyprian
Blamires, il confie à plusieurs reprises à ses proches les difficultés
qu'elle lui cause, tandis que ses amis lui reprochent de ne pas se mettre
suffisamment en avant[74]. Le
rôle de passeur lui permet de s'effacer derrière les idées
qu'il diffuse ou les faits qu'il relate et d'échapper aux jugements
directs. En outre, le soin qu'il apporte à conserver ses archives personnelles,
ses manuscrits et sa correspondance témoigne de cette volonté
consciente de transmettre, de rassembler des éléments pour un
usage futur.
A partir de 1789, Dumont fait partie de ce qu'on a appelé "l'atelier
de Mirabeau" avec Clavière, Du Roveray et Reybaz[75].
C'est également l'époque où il commence à lire
et à traduire les textes que Bentham compose, au même moment,
à l'attention des révolutionnaires français[76].
Jean Bénétruy a montré le rôle considérable
joué par Dumont et ses compatriotes dans la rédaction des discours
de Mirabeau et du Courier de Provence[77].
On peut alors étudier, dans cette période restreinte, les stratégies
que Dumont met en œuvre pour diffuser, en France, les idées de
Bentham et la sélection qu'il opère parmi celles-ci.
A titre d'exemple, Dumont se saisit d'un manuscrit de Bentham intitulé
Political Tactics, dont l'essentiel a été rédigé
de septembre 1788 à janvier 1789. Dans ce texte, Bentham entend fixer
les règles d'un débat parlementaire structuré et efficace.
Depuis qu'il assiste aux débats en France, le Genevois porte un jugement
extrêmement sévère sur la façon dont se déroulent
les discussions. En mai 1789, il demande à Romilly de présenter
les modalités de débats à la Chambre des Communes (ce
dernier rédige alors un texte intitulé Règlemens observés
à la Chambre des Communes pour débattre les matières
et pour voter), Dumont transmet l'opuscule à Mirabeau qui le fait
imprimer à l'usage des membres de l'Assemblée. Au même
moment, dans la Lettre du Comte de Mirabeau à ses Commettans,
il traduit certains passages de Political Tactics sans en préciser
l'auteur. En septembre 1789, il écrit à Bentham:
J'ai montré ce plan à Mr. De Mirabeau, au Duc de la Rochefoucault et quelques autres personnes qui ont admiré cette conception vraiment philosophique et cet ensemble qui forme le système d'un ouvrage absolument neuf et original; j'ose vous dire, Monsieur, sans aucune espèce de flatterie, [...] qu'en achevant cet ouvrage projeté, vous remplirez une des lacunes de la littérature politique, il n'y a que vous peut-être qui puissiez combler ce déficit puisque vous seul en avez mesuré l'étendue et que vous avez jeté toute la trame de l'ouvrage. [...] Je vous presse donc Monsieur, au nom de votre philanthropie, d'achever l'ouvrage que vous avez commencé, et s'il vous est possible de l'achever pour le commencement de la seconde législature, vous rendrez à ce pays un service essentiel; peut-être, ils ne l'adopteront pas immédiatement, ils essayeront encore quelques nouveaux règlements de leur façon, mais enfin les bonnes idées, les prémisses vrais et utiles se feront des partisans, la partie de l'ouvrage qui est connue par un petit nombre de personnes leur fait désirer vivement le reste, vous avez eu autant de prosélytes que de lecteurs[78].
Toutefois, on apprend dans la suite de la correspondance que Dumont a abandonné ce projet car il juge qu'il est trop tard pour pouvoir à présent espérer modifier l'organisation des débats en France. Parmi les textes qu'il reçoit de Bentham, Dumont sélectionne ceux qu'il juge les plus utiles à traduire et les diffuse sur différents supports: la presse périodique et les réseaux personnels. Une stratégie identique se met en place à propos d'un autre traité de Bentham sur l'organisation judiciaire[79]. Il ne fait pas de doute que Dumont choisit, sélectionne, les ouvrages qu'il décide de faire passer en France: en juillet 1791, il refuse de faire circuler à Paris un pamphlet de Thomas Paine[80].
14. Mais c'est après 1797, à Genève, que Dumont publie l'essentiel de ses traductions tirées de textes de Bentham. La ville est en effet une plaque tournante dans le monde francophone, profitant depuis plusieurs siècles d'une indépendance plus ou moins marquée, selon les époques, vis-à-vis de la censure française. En 1796, la Bibliothèque Britannique est fondée par Marc-Auguste et Charles Pictet dans l'idée de transmettre aux lecteurs l'essentiel des travaux publiés en Grande-Bretagne dans les domaines des lettres, de la science et de l'agriculture. Juste avant le rattachement de Genève à la France en 1798, les éditeurs décrivent la position de la ville en ces termes:
Genève est heureusement placée pour une entreprise pareille ; sa position géographique, sa réputation littéraire, l'avantage d'une Bibliothèque publique bien fournie, les relations de ses citoyens avec l'Angleterre & l'Ecosse, où plusieurs d'entre eux ont achevé leurs études, sa neutralité dans les circonstances actuelles, & jusqu'à sa petitesse qui l'exclut de toute influence politique; toutes ces considérations peuvent la présenter comme un Centre où les lumières parviennent dans leur intégrité, & d'où elles peuvent rayonner sur toute l'Europe[81].
Le choix même de consacrer la revue aux parutions britanniques apparaît
comme une marque d'indépendance, en particulier pendant le consulat
et l'Empire. Malgré le rattachement à la France, la publication
de la Bibliothèque Britannique se poursuit sous le même
nom et avec la même mission jusqu'en 1815, où elle est remplacée
par la Bibliothèque Universelle. Son tirage atteint 900 ou 1000
exemplaires par volume au début du XIXe siècle[82].
C'est sur le plan éditorial que Dumont met en œuvre sa stratégie
de diffusion des idées benthamiennes. La liste de ses publications
est éloquente:
|
1797 |
extraits des Principes du code civil |
Bibliothèque Britannique, V, p. 277-302 et VI, , p.
3-25 |
|
1798 |
extraits du Manuel d'économie politique |
Bibliothèque Britannique, V, p.105-133 et 369-389. |
|
1802 |
Traités de Législation civile et
pénale |
Paris: Bossange, Masson et Besson |
|
1802 |
extraits du Panoptique |
Bibliothèque Britannique, XX, p. 307-367 |
|
1811 |
Théories des peines et des récompenses |
Londres: B. Dulau |
|
1814 |
extraits de la Théorie des peines et des
récompenses |
Bibliothèque Britannique, LVI, p. 413-455 et LVII,
p. 150-166, 281-301 et 417-448. |
|
1815 |
extraits de la Théorie des peines et des
récompenses |
Bibliothèque Britannique, LVIII, p. 55-85 |
|
1816 |
Tactique des Assemblées Législatives, suivie d'un
Traité des sophismes politiques |
Genève: J.-J. Paschoud |
|
1816 |
extraits de Tactique des assemblées législatives
|
Bibliothèque universelle, I, p. 217-247 et 329-355; II, p.
213-223 et III, p. 3-31 |
|
1817 |
extraits de Défense de l'usure. |
Bibliothèque universelle, V, p. 3-11 |
|
1818 |
Théories des peines et des récompenses |
2ème édition, Paris: Bossange et Masson |
|
1820 |
extrait Des impôts sur les actes judiciaires |
Bibliothèque universelle, XIII, 128-140 |
|
1820 |
Traités de Législation civile et
pénale |
2ème édition, Paris: Bossange |
|
1822 |
Tactique des Assemblées Législatives, suivie d'un
Traité des sophismes politiques |
2ème édition, Paris: Bossange |
|
1823 |
Traité des preuves judiciaires |
Paris: Bossange Frères |
|
1825 |
Théorie des peines et des récompenses |
3ème édition, Paris: Bossange
Frères |
|
1828 |
De l'organisation judiciaire et de la codification |
Paris: H. Bossange |
|
1830 |
Traités de Législation civile et
pénale |
3ème édition, Paris: Rey et Gravier |
|
1830 |
Traité des preuves judiciaires |
2ème édition, Paris: H. Bossange |
15. Les traductions de Dumont sont unanimement louées par ses contemporains[83].
Il faut pourtant prendre la mesure de la réécriture qu'il effectue:
sur le plan du style, mais également en ce qui concerne la sélection
des idées et leur organisation. Le traducteur ne cache pas l'importance
du travail qu'il réalise. Tous ses ouvrages contiennent l'annonce au
lecteur du type de réécriture auquel il s'est livré,
ainsi, dans le "Discours préliminaire" qui ouvre les Traités
de législation civile et pénale:
Les changements que j'ai eu à faire ont varié selon la nature des manuscrits. Lorsque j'en ai trouvé plusieurs relatifs au même sujet, mais composés à différentes époques et avec des vues différentes, il a fallu les concilier et les incorporer de manière à n'en faire qu'un tout. L'Auteur avoit-il mis au rebut quelque Ouvrage de circonstance, qui ne seroit aujourd'hui ni intéressant, ni même intelligible? Je n'ai pas voulu qu'il fût perdu en entier, mais j'ai, pour ainsi dire, déménagé comme d'une maison abandonnée, tout ce qui étoit susceptible d'être conservé. S'étoit-il livré à des abstractions trop profondes, à une métaphysique, je ne dirais pas trop subtile, mais trop aride ? J'ai essayé de donner plus de développement aux idées, de les rendre sensibles par des applications et des exemples, et je me suis permis de semer avec discrétion quelques ornemens. J'ai eu même des chapitres à faire en entier, mais toujours sur les indications et les notes de l'Auteur, et la difficulté de le suppléer m'auroit ramené à un sentiment modeste de moi-même si j'avois eu la tentation de m'en écarter[84].
La comparaison entre les manuscrits de Bentham et les versions de Dumont
est rendue difficile par la disparition d'une partie des manuscrits originaux.
Par ailleurs, le travail de synthèse et de réécriture
systématique rend la comparaison terme à terme presque impossible.
Toutefois, une étude de la transmission des idées de Bentham
ne peut faire l'économie de ce type de travail[85].
Le retentissement des ouvrages de Dumont est considérable: à
la mort de Bentham John Bowring calcule que près de 90 000 ex. des
Traités sont en circulation dans le monde[86].
Alors que des travaux sont parus sur la réception de ces ouvrages dans
le monde hispanique et lusophone, ce travail reste à faire pour la
France[87].
On le voit dans le tableau ci-dessus, Dumont accorde une grande importance
à la diffusion de ses textes dans la presse périodique. On sait
le rôle joué par les recensions contenues dans les publications
périodiques dans la diffusion des idées au siècle des
Lumières. Dumont est conscient de l'importance de ce vecteur. En 1796,
il apprend que la Bibliothèque Britannique a publié une
traduction d'une des rares recensions de l'Introduction to the Principles
of Morals and Legislation, paru à Londres en 1789[88].
Dumont décide immédiatement de prendre contact avec les rédacteurs
et explique à Bentham sa stratégie: "Quelques essais jetés
ainsi dans le public serviroient à sonder le terrain et à préparer
le succès du grand ouvrage"[89].
Au cours des décennies suivantes, il fait paraître en avant-première
des extraits des ouvrages tirés de Bentham dans la Bibliothèque
Britannique (ou Universelle).
Tout au long de sa vie, Dumont participe activement à la création
et au fonctionnement d'autres journaux périodiques. On peut citer les
Annales de législation et de jurisprudence, qu'il contribue
à fonder avec Bellot, Rossi, Sismondi et Meynier en 1820[90].
Enfin, en 1829, il est contacté par un jeune homme, Marc-Antoine Cherbuliez,
qui se propose de fonder une revue intitulée L'utilitaire, en
hommage aux idées de Bentham. Bien que Dumont ne participe pas directement
à cette entreprise éditoriale, il l'encourage[91].
Son prosélytisme ne se limite pas aux périodiques genevois:
il suit d'un œil attentif les parutions parisiennes et britanniques,
auxquelles il adresse parfois des articles en défense de l'utilitarisme[92].
16. Pour comprendre les stratégies de diffusion des idées benthamiennes
mises en place par Etienne Dumont, il faut également explorer le domaine
de l'action politique. A partir de 1815 il conjugue son travail sur Bentham
et un engagement politique fort au sein des nouvelles institutions genevoises.
Ses archives laissent entrevoir la façon dont il concevait le passage
de la théorie à la pratique et la place qu'il accordait aux
idées de Bentham dans ce processus.
A partir des manuscrits de Political Tactics qu'il avait rassemblés
en 1789, Dumont fait paraître une traduction abrégée à
Genève en 1816. Elle est suivie, dans le même volume, du Règlement
pour le conseil représentatif de la ville et de la république
de Genève rédigé par Dumont en 1815 et adopté
par le canton. Enfin, la traduction de 1789 du Règlement observé
dans la Chambre des Communes, de Romilly, clôt l'ouvrage. La traduction
du texte de Bentham est accompagnée de nombreuses notes et de commentaires
sur la vie politique genevoise. Dumont invite le lecteur à faire immédiatement
le lien entre la théorie et la pratique:
Après avoir lu cette théorie [celle de Bentham], on verra peut-être avec intérêt comment et avec quel succès elle a été mise en œuvre dans le conseil représentatif de la république de Genève[93].
Dans l'appareil éditorial qui encadre la traduction, Dumont minimise les divergences entre le projet de Bentham et la pratique britannique[94]. En outre, malgré les indications liminaires données par le traducteur, l'ouvrage final diverge sur plusieurs points importants des manuscrits originaux. Par exemple, alors que Bentham critique depuis toujours "la séparation du corps législatif en deux chambres" et que le manuscrit (inachevé) de Political Tactics ne recense que des raisons pour rejeter le bicaméralisme[95], Dumont ajoute plusieurs pages de son cru qui énumèrent "les raisons qu'on peut alléguer en faveur de cette division" [en deux chambres], prévenant le lecteur en note: "L'auteur n'ayant pas achevé son travail, j'ai tâché d'y suppléer en présentant les arguments pour l'autre côté de la question"[96]. Mais il ressort de la lecture de l'ensemble du chapitre que ce sont les arguments de Dumont qui sont mis en valeur, et non ceux de Bentham. Ces divergences sont importantes car elles indiquent comment Dumont utilise parfois ses traductions dans le but de légitimer des prises de position qui sont contraires aux idées du philosophe.
17. Bentham avait lui-même mis en garde ses lecteurs contre les mauvais
usages de l'influence. Il dénonçait "l'influence de la volonté
sur la volonté", instrument des puissants pour manipuler l'opinion
publique et en prônait le remplacement par "l'influence de la raison
sur la raison", celle qu'il espérait qu'exercent les idées utilitaristes
sur les générations futures[97].
Une étude des moyens de transmission des idées de Bentham devra
porter une attention particulière aux contextes de rédaction
des manuscrits et des versions publiées (souvent distincts d'une dizaine
d'années, voire davantage). Il est également crucial d'effectuer,
autant qu'il est possible, une étude comparée des manuscrits
de Bentham et des versions produites par ses disciples. Les nombreuses modifications
apportées à ses idées peuvent alors apparaître
comme des réappropriations. Repenser la question de l'influence en
s'interrogeant sur les processus de la transmission et sur ses vecteurs permet
de saisir de façon plus concrète la réalité des
échanges intellectuels et des transferts.
La postérité des idées de Bentham dans le monde francophone
apparaît comme un sujet d'étude légitime, à condition
que l'on accorde à Etienne Dumont la place qu'il mérite dans
la mise en place d'un utilitarisme en langue française. Une telle étude
doit nous permettre de mieux appréhender le contenu de ce qui est reçu,
à Genève, en France et dans le reste du monde, comme "la pensée
de Jeremy Bentham" et, à partir de là, d'évaluer l'usage
que d'autres acteurs du monde politique et intellectuel en font dans les décennies
qui suivent la parution des Traités de législation civile
et pénale, tout particulièrement au sein des milieux libéraux.
[1] Voir en particulier les ouvrages suivants: Jeremy Bentham, A Fragment on Government [1776], A Comment on the Commentaries and A Fragment on Government (éds. J. H. Burns et H. L. A. Hart), Londres: Athlone Press, 1977 ; Writings on the Poor Laws, vol. 1 (éd. Michael Quinn), Oxford: Clarendon Press, 2001 ; Plan of Parliamentary Reform, in the Form of a Catechism, with reasons for each article, with an Introduction, shewing the necessity of radical, and the inadequacy of moderate reform [1817], The Complete Works of Jeremy Bentham (éd. John Bowring), Edimbourg: Tait, III, p. 433-538.
[2] John R. Dinwiddy, "Bentham and the Early Nineteenth-Century", Radicalism and Reform in Britain, 1750-1850, Londres: Hambledon Press, 1992, p. 291-313.
[3] Ibid., p. 313n.
[4] Albert Venn Dicey, Lectures on the Relation between Law and Public Opinion in England during the Nineteenth Century [1905], Londres: Macmillan, 1920, p. 62-63. Sur l'influence de Dicey jusque dans les années 1950, voir H. Parris, "The Nineteenth-Century Revolution in Government: a Reappraisal Reappraised", Historical Journal, iii 1960, p. 17-37.
[5] A. V. Dicey, op. cit., p. 126.
[6] Leslie Stephen, The English Utilitarians, 3 vols, Londres: Duckworth, 1900 ; Elie Halévy, La formation du radicalisme philosophique [1904], 3 vols, Paris: Presses Universitaires de France, 1995.
[7] L. Stephen, op. cit, I, p. 1.
[8] Ibid., I, p. 1-2.
[9] Ibid., I, p. 5-6.
[10] Ibid., III, p. 1.
[11] Ibid., III, p. 248-249.
[12] Le programme de réforme politique de Bentham, tel qu'il est annoncé dans le Code Constitutionnel est organisé autour d'un pouvoir bureaucratique fort soumis au contrôle permanent de l'opinion publique. Sur ce point, voir Constitutional Code, vol. I (éds. F. Rosen et J. H. Burns), Oxford: Clarendon Press, 1983 et F. Rosen, Jeremy Bentham and Representative Democracy. A Study of the Constitutional Code, Oxford: Oxford University Press, 1983.
[13] "Some of the philosophical radicals subsided into Whiggism, and others sank into actual Tories." L. Stephen, op. cit., III, p. 248-249. Bentham s'était violemment opposé à ces deux partis, qu'il voyait comme les instruments de la confiscation oligarchique du pouvoir politique.
[14] Comte, Cours de Philosophie Positive, [1830], Œuvres d'Auguste Comte, I, Paris: Anthropos, 1968, avertissement. Sur le rôle que Comte assigne aux "savants", voir "Considérations philosophiques sur la science et sur les savants" [1826], Ecrits de jeunesse 1816-1828, Paris: Mouton, 1970, p. 323. Voir aussi l'ouvrage de Pierre Macherey, Comte. La philosophie et les sciences, Paris: Presses Universitaires de France, 1989.
[15] John Stuart Mill, Auguste Comte et le Positivisme, (trad. de G. Clémenceau revue par M. Bourdeau), Paris: L'Harmattan, 199, p. 108. Comte proposera d'ailleurs à Mill en 1841 de "faire partie d'un comité européen chargé, en permanence, de diriger partout le mouvement commun de régénération philosophique", ibid., p. 8.
[16] Sur la philosophie de l'histoire de Leslie Stephen et l'influence d'Auguste Comte, voir Jeffrey Paul von Arx, Progress and Pessimism. Religion, Politics and History in Late Nineteenth-century Britain, Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 1985, p. 11-63.
[17] L. Stephen, The English Utilitarians, op. cit., I, p. 9-10.
[18] Henriette Guy-Loë (éd.), Elie Halévy, correspondance (1891-1937), Paris: de Fallois, 1996, p. 285-286 et n.
[19] Réédités au milieu des années 1990, les ouvrages d'Halévy bénéficient d'un regain d'attention. Au contraire, les ouvrages de Stephen sont jugés sévèrement, voir Stefan Collini, English Pasts. Essays in History and Culture, Oxford: Oxford University Press, 1999, p. 73 et Anthony Hartley, "Elie Halévy et l'histoire de l'Angleterre", Entre le théâtre et l'histoire, la famille Halévy 1760-1960, (éd. Henry Loyrette), Paris: Fayard, 1996, p. 256-265. F. Rosen défend toutefois la pertinence des travaux de Stephen contre ceux d'Halévy, voir "Elie Halévy and Bentham's Authoritarian Liberalism", Enlightenment and Dissent, 6 1987, p. 59-76.
[20] E. Halévy, Formation, op. cit., I, p. 45.
[21] Sur la formation des philosophes français à la fin du XIXe siècle, voir Bernard Bourgeois, "La société des philosophes en France en 1900", Le moment 1900 en philosophie (éd. Frédéric Worms), Lille: Presses Universitaires du Septentrion, 2004, p. 63-79. Halévy s'engage dans une critique explicite du marxisme en matière historique: "Si le matérialisme historique était vrai, s'il fallait rechercher, dans la série des faits économiques, la cause explicative de toute l'histoire, l'Angleterre du XIXe siècle devrait être le pays prédestiné de la révolution politique et de la révolution religieuse. Il n'en sera rien cependant." Histoire du peuple anglais au XIXe siècle, 5 vols, Paris: Hachette, 1912-1932, I, p. 364.
[22] Il écrit en 1891 dans son Journal: "Je sens bien le caractère de la révolution qui s'opère en moi. [...] Protestant par hérédité, kantien depuis deux ou trois ans, Platon balaie tout cela". Cité par Henriette Guy-Loë, "Elie Halévy, une biographie", La famille Halévy, op. cit., p. 198. Son premier ouvrage est consacré à La philosophie platonicienne des sciences (1896).
[23] Elie Halévy, Correspondance, op. cit., p. 65.
[24] Ibid., p. 180. Comme chez Stephen, il considère Bentham comme un anti-métaphysicien.
[25] E. Halévy, Histoire du peuple anglais, op. cit., I, p. v.
[26] Léon Brunschvicg, "Elie Halévy", Revue de Métaphysique et de Morale, 1937, p. 679-691. Les analyses contemporaines tendent cependant à minimiser l'aspect platonicien des idées d'Halévy et à mettre en lumière ce qui le rapproche de la sociologie ou de Max Weber, voir Nicolas Baverez, "Elie Halévy, historien-philosophe du socialisme", La famille Halévy, op. cit., p. 273-275.
[27] Poursuivant cette analyse dans l'Histoire du peuple anglais, il conclut que c'est l'alliance du méthodisme et de l'utilitarisme qui offre la clef de la stabilité politique de la Grande-Bretagne à l'ère industrielle: "L'individualisme anglais est un individualisme tempéré, où se mêlent, au point d'être parfois presque indiscernables, l'influence évangélique et l'influence utilitaire". Histoire du peuple anglais, op. cit., I, p. 559.
[28] E. Halévy, Formation, op. cit., III, p. 214-215. Il faut toutefois souligner que ceux qui constituent le "parti de doctrinaires" auquel Halévy fait allusion ne sont guère plus qu'une poignée, voir plus loin.
[29] E. Halévy, Formation, op. cit., III, p. 238.
[30] Ibid., p. 243.
[31] Ibid, p. 219, 231.
[32] Ibid., p. 251.
[33] Herbert Butterfield, The Whig Interpretation of History, Londres: Bell and sons, 1931.
[34] Voir Leon Radzinowicz, A History of English Criminal Law and its Administration from 1750, 4 vols, Londres: Stevens and Sons, 1948. Radzinowicz place son travail sous les auspices de Macaulay, voir I, p. ix.
[35] Norman Gash, Aristocracy and People. Britain 1815-1865. A New History of England, vol. 8, Londres: Arnold, 1979, p. 46-47, cité par S. Conway, "Bentham and the nineteenth-century revolution in government", R. Bellamy, Victorian Liberalism. Nineteenth-century political thought and practice, London: Routledge, 1990, p. 72.
[36] Oliver MacDonagh , "The Nineteenth-Century Revolution in Government, a Reappraisal", Historical Journal, i 1958, p. 52-67. Voir aussi D. Roberts, "Jeremy Bentham and the Victorian Administrative State", Victorian Studies, ii 1959, p. 193-210.
[37] Voir Jenifer Hart , "Nineteenth-Century Social Reform: a Tory Interpretation of History", Past and Present, 31 1965, p. 39-61.
[38] William Thomas, The Philosophic Radicals, Nine Studies in Theory and Practice, Oxford: Clarendon Press,1979. p. 11.
[39] On peut noter que les ouvrages des historiens des sciences sociales, jusqu'aux plus récents, continuent à mettre en avant l'influence de Bentham. Voir par exemple D. Fraser, The Evolution of the British Welfare State, London: Macmillan, 1984, ou David Englander, Poverty and Poor Law Reform in Nineteenth-Century Britain, 1834-1914, 1998.
[40] Stephen Conway, "Bentham and the nineteenth-century revolution in government", art. cit., p. 71-90. La Westminster Review a été fondée à l'initiative de Bentham et de James Mill en 1824. S. Conway reprend ici un schéma explicatif déjà utilisé par S. E. Finer, qui distinguait trois modes de transmission des idées de Bentham: "Irradiation, Suscitation and Permeation", voir "The Transmission of Benthamite Ideas, 1820-1850", Studies in the Growth of Nineteenth-century Government (éd. Gillian Sutherland), Londres, 1972, p.11-32.
[41] J. Bentham, Constitutional Code, op. cit., p. 95.
[42] Voir à ce sujet J. R. Dinwiddy, "Bentham and the Early Nineteenth-Century", art. cit.
[43] Sur la Westminster Review, voir George L Nesbitt, Benthamite Reviewing: the first twelve years of the Westminster Review, 1824-1836, New York: Columbia University Press, 1934 ; Michael J. Turner., "Radical opinion in an age of Reform: Thomas Perronet Thompson and the Westminster Review", History, 86 2001, p. 18-40. Les débats sur l'influence des idées de Bentham sur la pensée de John Stuart Mill ont été recensés par Paul J. Kelly, "The Influence of Bentham on the Thought of J. S. Mill: A Critical Review", Bentham Newsletter, 11, 1987, p. 53-57.
[44] James Tully, "The pen is a mighty sword: Quentin Skinner's analysis of politics", Meaning and Context. Quentin Skinner and His Critics, Cambridge: Polity Press, 1988, p. 7.
[45] Voir Q. Skinner, "The limits of historical explanations", Philosophy, 46, 1966, p. 199-215.
[46] Q. Skinner, "Meaning and Understanding", art. cit.., p. 46-47. Sur la question de l'influence, voir aussi "The limits of historical explanations", Philosophy, 46, 1966, p. 199-215.
[47] Stefan Collini, Richard Whatmore et Brian Young (éds.), Economy, Polity and Society. British Intellectual History, 1750-1950, Cambridge: Cambridge University Press, 2000, p. 1.
[48] John Dunn, "The History of Political Theory", The History of Political Theory and other essays, Cambridge: Cambridge University Press, 1996, p. 25.
[49] Frederick Rosen, Bentham, Byron and Greece. Constitutionalism, Nationalism and Early Liberal Political Thought, Oxford: Oxford University Press, 1992.
[50] "While accepting the view of Skinner that the concept of influence provides a highly elusive model for a history of political thought, it is fair to say that influence is none the less an important part of most accounts of human relationships, including the transmission of ideas from one person to another". Rosen explique alors l'importance d'une méthodologie appropriée pour éviter les approches "simplistes", ibid., p. 14-17.
[51] J.R. Dinwiddy, "Bentham and the Early Nineteenth-Century", art. cit., p. 291-292. Il revient pourtant sur l'impact des idées benthamiennes en Grande-Bretagne, cf. "Early-Nineteenth-Century Reactions to Benthamism", Radicalism and Reform, op. cit., p. 339-361.
[52] En particulier le Centre Bentham, université Paris X-Nanterre (EA 3932 SOPHIAPOL) et le réseau Transferts culturels France-Grande-Bretagne, rattaché à l'université Paris VIII.
[53] Peu de travaux ont été consacrés à Dumont. Les éléments biographiques s'appuient sur les monographies ou articles suivants: Jean Martin, Etienne Dumont, 1759-1829. L'ami de Mirabeau, le voyageur, le patriote genevois, Neuchâtel: La Baconnière, 1942 ; Cyprian Blamires, "Etienne Dumont, Genevan Apostle of Utility", Utilitas, II, I 1990, p. 55-70 ; C. Blamires, "Bentham et Dumont", Regards sur Bentham et l'utilitarisme, Oeconomia, série PE, 12 1993, p. 11-25 ; Jefferson P. Selth, Firm Heart and Capacious Mind. The Life and Friends of Etienne Dumont, Lanham, Maryland: University Press of America, 1997.
Le terme "Bourgeoisie" désigne ici la seconde catégorie de la population de Genève: les Citoyens sont les héritiers des familles aristocratiques et détiennent l'essentiel des droits politiques; les Bourgeois jouissent de certains privilèges politiques. Les Natifs et les Habitants, en revanche, en sont privés.
[54] Voir Mss Dumont, Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève, 29 (Mélanges de morale, de philosophie, de Poésie, d'histoire et de littérature).
[55] Voir Helena Rosenblatt, Rousseau and Geneva. From the First Discourse to the Social Contract, 1749-1762, Cambridge: Cambridge University Press, 1997, ch.1.
[56] Il s'agit de l'ancien ministre Shelburne qui a été fait Marquis de Lansdowne en 1784.
[57] Il écrit de Kensington en juillet 1793: "Je suis tous les jours plus satisfait d'avoir quitté Genève, je ne pouvais rien pour arrêter le torrent, et il aurait pu m'entraîner. Le parti révolutionnaire accumule les dépenses et les extravagances, il ruine l'Etat et tourmente les individus [...] Au milieu de ces excès et de ces inepties, on a osé célébrer la fête de Jean-Jacques, qui mourrait de douleur une seconde fois s'il pouvait sortir de son tombeau et voir l'indigne usage qu'on fait de ses principes, et les violences de ses prétendus partisans." Cité par Jean Martin, Etienne Dumont, op. cit, p. 47-48.
[58] Voir Mss Dumont, 11, 12, 13, 14 et passim (Journaux).
[59] Voir Charles Blount, "Bentham, Dumont and Mirabeau, an Historical Revision", University of Birmingham Historical Journal, 3 1952, p. 157 et C. Blamires, "Etienne Dumont, Genevan Apostle of Utility", art. cit., p. 63. Leur correspondance directe ne débute qu'au milieu de l'année 1789.
[60] E. Halévy, Formation, op. cit., I, p. 95-96.
[61] Sur le "Bowood Circle" et la Révolution Française, voir Derek Jarrett, The Begetters of Revolution. England's involvement with France, 1759-1789, London: Longman, 1973, ch. 9 et Albert Goodwin, The Friends of Liberty: the English Democratic Movement in the Age of the French Revolution, Londres: Hutchinson, 1979.
[62] Voir Correspondance, vol. 1 et 2, préfaces.
[63] "Observations sur la noblesse de Bretagne", Rights, Representation, and Reform : Nonsense upon Stilts and other Writings on the French Revolution (éds. P. Schofield, C. Pease-Watkin et C. Blamires), Oxford: Oxford University Press, 2002, p. 147-166.
[64] Voir D. Jarrett, op. cit., p. 127-153 et passim.
[65] Etienne Dumont, Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières assemblées législatives Paris: Gosselin et Bossange, 1832, avertissement, p. ix.
[66] Maria Edgeworth: Letters from England 1813-1844; Oxford 1971, p.50 (cité par C. Blamires, "Etienne Dumont, Genevan Apostle of Utility", art. cit.).
[67] J. Bentham, Correspondence, vol. 4 (éd. A. T. Milne), Londres: Athlone Press, 1981, p. 385-386.
[68] Voir par exemple ses lettres à des correspondants familiaux, Mss Dumont, 79 (Correspondance avec Marianne d'Illens).
[69] 23 août 1792, Correspondence, op. cit., 4, p. 387.
[70] Mss Dumont, 25 (Recueil d'extraits et d'analyses d'ouvrages), p.15.
[71] Voir par exemple les passages intitulés "Morale, art du bonheur", Mss Dumont, 20, 52. Voir également E. de Champs, "Transformations de la morale utilitariste: un exemple de réécriture des textes de Jeremy Bentham par Étienne Dumont", XVII-XVIII, Bulletin de la Société d'Etudes Anglo-Américaines des XVIIème et XVIIIème siècle, juin 2006 (à paraître).
[72] J'ai développé ce point dans, L'écriture constitutionnelle de Jeremy Bentham, thèse de l'université Paris III, 2004, p. 394 et passim. Cette divergence politique explique en partie la brouille de Dumont et de Bentham au cours des années 1820.
[73] E. Dumont, Souvenirs sur Mirabeau, op. cit., p. 2.
[74] C. Blamires, "E. Dumont, Genevan Apostle of Utility", art. cit., p. 63, 68.
[75] Jean Bénétruy, L'atelier de Mirabeau. Quatre proscrits genevois dans la tourmente révolutionnaire, Genève: Société d'histoire et d'archéologie, 1962.
[76] Voir J. H Burns, "Bentham and the French Revolution", Transactions of the Royal Historical Society, 16 1966, p. 95-114. Les textes écrits par Bentham à cette occasion sont rassemblés dans les volumes suivants: Political Tactics (éds. M. James, C. Blamires et C. Pease-Watkin), Oxford: Clarendon Press, 1999 et Rights, Representation, and Reform, op. cit.
[77] La participation d'Etienne Dumont à l'atelier de Mirabeau a conduit certains commentateurs à suggérer que Bentham ait pu, par son intermédiaire, influencer le contenu des discours de Mirabeau (Bowring, X, p. 185). Dumont lui-même indique dans ses Mémoires qu'il a très vite été convaincu par les thèses de Bentham et qu'il s'en faisait le relais auprès de Mirabeau (Souvenirs sur Mirabeau, op. cit. p. 97). Halévy, plus prudent, note le "curieux paradoxe historique" qui a conduit un benthamien à participer à la rédaction de la Déclaration contre laquelle Bentham écrira tant (Formation, op. cit., II, p. 36). Aujourd'hui, il ne fait plus de doute que l'influence de Bentham sur Mirabeau, même par le biais de Dumont, relève du mythe. Voir J. H. Burns , "Bentham and the French Revolution", art. cit., p. 102-103, et S. Rials (éd.), La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Paris: Hachette, 1989, p. 127-128. Toutefois, il serait intéressant de s'intéresser plus précisément à la chronologie des premiers contacts entre Dumont et Bentham et à examiner les thèmes de ces échanges en parallèle avec ceux des discours écrits par Dumont pour Mirabeau.
[78] J. Bentham, Correspondence, vol. 4, p.92-93.
[79] Draught of a Plan for the Judicial Establishment in France a été publié dans l'édition Bowring en 1843 (IV, p. 285-406). Dumont en avait traduit des extraits dans le Courier de Provence de mars à mai 1790.
[80] J. P. Selth, Firm Heart and Capacious Mind, op. cit., p. 82.
[81] Bibliothèque Britannique, I, 1796, prospectus, p. 6-7.
[82] Sur la Bibliothèque Britannique, voir David Bickerton, Marc-Auguste and Charles Pictet, the Bibliothèque Britannique 1796-1815 and the Dissemination of British Literature and Science on the Continent, Genève: Slatkine, 1986 ; David Bickerton et Judith Proud (éds.), The Transmission of Culture in Western Europe, 1750-1850, Bern: Pether Lang, 1999.
[83] On peut citer, entre autres, le commentaire de Macaulay: "The services which M. Dumont has rendered to society can be fully appreciated only by those who have studied Mr Bentham's works, both in their rude and in their finished state. [...] The raw material which Mr. Bentham furnished was most precious; but it was unmarketable. He was, assuredly, at once a great logician and a great rhetorician. But the effect of his logic was injured by a vicious arrangement, and the effect of his rhetoric by a vicious style. [...] He spoke in an unknown tongue. [...] If M. Dumont had never been born, Mr. Bentham would still have been a very great man. But he would have been great to himself alone.", Thomas Babington Macaulay, Edinburgh Review, lv, 1832, p. 553-554.
[84] Traités de législation civile et pénale extraits des manuscrits de Jeremy Bentham [1802], "Discours préliminaire", I, p. 1-2 (toutes les références de pages concernant les éditions Dumont sont tirées de l'édition des Œuvres de Jeremy Bentham publiées en trois tomes à Bruxelles en 1829).
[85] Quelques pistes ont été esquissées dans L'écriture constitutionnelle de Bentham, op. cit. et "Transformations de la morale utilitariste", art. cit. Voir aussi, Catherine Pease-Watkin, "Bentham's Panopticon and Dumont's Panoptique", Journal of Bentham Studies, 6 2003 (http://www.ucl.ac.uk/Bentham-Project/journal/jnl_2003.htm).
[86] Bowring, XI, p. 33, 80. Ces chiffres demanderaient à être vérifiés.
[87] Voir Miriam Williford , Jeremy Bentham on Spanish America: An Account of his Letters and Proposals to the New World, Baton Rouge, La: Louisiana State University Press, 1980 et Catherine Fuller, , "'Primeiro e mais antigo Constitutional da Europa': Bentham's Contacts with Portuguese Liberals, 1829-1823", Journal of Bentham Studies, 3, 2000.
[88] Les rédacteurs de la Bibliothèque Britannique ont traduit une recension parue dans la Monthly Review en 1795. Voir C. Blamires, "The Bibliothèque britannique and the birth of Utilitarianism", The Transmission of Culture in Western Europe, op. cit., p. 56.
[89] The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. 5, 1794-1797 (éd. A. T. Milne), Londres: Athlone Press, 1981, p. 200-201.
[90] J. P. Selth, Firm Heart and Capacious Mind, op. cit., p. 221-222.
[91] Mss Dumont, 79 (Correspondance), p.156.
[92] En mai 1804, par exemple, Dumont envoie une réponse à une critique négative parue dans la Edinburgh Review. Voir The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. 7, 1801-1808 (éd. J. R. Dinwiddy), Oxford: Clarendon Press, 1988, p. 267n. A la fin de sa vie, il souhaite faire paraître une nouvelle réponse aux attaques répétées de la Edinburgh Review.
[93] "Exposé préliminaire", Tactique des assemblées politiques délibérantes [1816], Œuvres, I, p. 445.
[94] Dumont décrit ainsi l'ouvrage: "[M. Bentham] a observé ce qui se pratiquait dans le parlement d'Angleterre, et il en a déduit une théorie. Ce n'est donc pas ici un travail où l'invention ait eu beaucoup de part; mais moins il y a d'invention, plus il y a de sûreté. [...] Il est vrai toutefois qu'il s'est écarté dans certains cas de la méthode anglaise: elle ne lui a pas touours paru la meilleure possible, et surtout pour une assemblée de création nouvelle." "Discours préliminaire", Tactique des assemblées politiques délibérantes, Œuvres, I, p. 374.
[95] Voir par exemple en 1789, Rights, Representation and Reform, op. cit., p. 34, et en 1830, Anti-Senatica, An Attack on the U. S. Senate, Smith College Studies in History, (Charles Warren Everett éd.), vol. XI, n°4, 1926, p. 209-267.
[96] Tactique des assemblées politiques délibérantes, Œuvres., I, p. 390.
[97] Cette distinction est surtout développée ses écrits sur la corruption politique, dans les années 1820. Voir First Principles Preparatory to Constitutional Code (éd. Philip Schofield), Oxford: Clarendon Press, 1989, p. 261 et Securities Against Misrule and other Constitutional Writings for Tripoli and Greece (éd. Philip Schofield), Oxford: Clarendon Press, 1990, p. 67.