Races humaines et liberté dans la pensée politique de Jan Potocki à la veille de la Révolution

Monika Niewòjt
Università di Trieste

1. L’examen de la pensée politique de Jan Potocki, présenté sur ces pages, se limite aux premières années de son activité d’écrivain politique, c’est-à-dire, aux années 1787-1791. Le choix de cette période peut être motivé par deux raisons. Premièrement, parce que c’est durant ces années que l’attention de Potocki se concentre presque exclusivement sur des questions d’ordre politique. Le second motif concerne le contenu des œuvres de Potocki, œuvres dédiées à différents pays, mais qui ont en commun un intérêt particulier de l’auteur pour la question de la liberté. Le lecteur de ces écrits a immédiatement conscience du grand enthousiasme de Potocki pour les changements qui s’effectuaient alors en Europe conséquents à l’émancipation de l’opinion publique; tout comme le lecteur se rend compte du vif espoir de Potocki concernant l’introduction des réformes qui pouvaient mener à la libération de l’état polonais de l’oppression russe. Aujourd’hui, nous connaissons Potocki surtout en tant qu’auteur du roman Manuscrit trouvé à Saragosse. Très peu connaissent ses autres intérêts, parfois très lointains du monde de la littérature.
Les voyages étaient sa plus grande passion: il a visité l’Europe, beaucoup de pays d’Afrique et d’Asie. Il a rassemblé ses souvenirs de voyages dans ces nombreux livres, qui ne se limitent pas à nous offrir le témoignage de son expérience personnelle, mais qui peuvent aussi être l’objet d’intéressantes études anthropologiques, ethnographiques et même linguistiques - car Potocki a toujours cultivé un vif intérêt pour les langues.Outre sa passion pour les voyages, Potocki en avait une autre: celle de l’étude de la préhistoire, avec une prédilection particulière pour les recherches sur les origines des peuples slaves et les chronologies antiques. Potocki a publié une quinzaine de volumes consacrés à ces arguments cherchant toujours à verifier l’exactitude des informations transmises par les écrivains de l’Antiquité et les chroniqueurs du Moyen Âge.

2. Potocki découvrit son intérêt pour la politique à la veille de la Révolution française, alors qu’il résidait à Paris. Constatant combien était grande la portée de l’enseignement des philosophes, il se convainquit que d’importants changements dans le vieux continent ne tarderaient pas à arriver, changements qui donneraient vie aux gouvernements fondés sur les principes de liberté. Potocki pensait que l’opinion publique exercerait le rôle le plus important dans ce procesus de modernisation du système gouvernemental. Et puisque l’opinion publique devait être “éduquée” et influencée d’une manière convenable, Potocki prit la décision de s’engager dans l’activité de publiciste. Depuis les années 1780 jusqu’au dernier partage de la Pologne en 1794, l’intérêt de Potocki pour la politique l’emporta sur tous les autres.
L’attention portée aux problématiques politiques se manifesta pour la première fois en 1787 dans son œuvre intitulée Voyage en Hollande[1], dans laquelle il décrivit ses impressions sur les derniers jours de la révolte de la bourgeoisie républicaine contre le stadhouder. Le ton de ce bref journal d’une brève révolution est amer: Potocki, en partant pour la Hollande, espérait assister à la victoire des bourgeois, mais au contraire il devint le spectateur de leur défaite. En effet, les forces du parti républicain furent anéanties en quelques jours par les troupes prussiennes envoyées par Frédéric-Guillaume II pour secourir le stadhouder. Ce qui causa la principale déception de Potocki, n’était pas tant la défaite militaire des bourgeois républicains, qui durent affronter une des armées les plus aguerries d’Europe, mais le fait qu’ils s’étaient abandonnés à de violentes actions “non-constitutionnelles”, renonçant ainsi aux lois dont peu de jours auparavant ils se faisaient garants. Après la pacification de la Hollande, Potocki fut pris du désir de connaître mieux la politique de son pays natal, laquelle n’avait jamais attiré son attention jusque là. Ce personnage cosmopolite, éduqué à l’étranger - où il vécut longtemps -, comme beaucoup d’autres nobles polonais, devint un fervent patriote, préoccupé du sort de la Pologne.

3. Potocki revint dans sa patrie en 1788 et il se dédia, pendant les quatres années suivantes, à la modernisation de l’insitution gouvernementale polonaise. Ses débuts sur la scène politique de Varsovie furent sûrement facilités par l’appartenance de Potocki à une de plus grandes familles polonaises, qui comptait parmi ses membres d’important répresentants de la vie politique du pays, comme Ignacy Potocki et Stanislaw Szczesny Potocki.[2] Personnes avec lesquelles Jan Potocki entretenait d’étroites relations. Son rang lui permettait de fréquenter le roi qui, séduit par sa finesse d’ésprit et son experience de voyageur, lui devint très favorable.
Potocki, témoin de la pacification prussienne de la Hollande, se convainquit que la puissance militaire de cette première constituait alors le plus grand péril pour l’intégrité de la Pologne. C’est la raison pour laquelle il commença son activité de publiciste en exhortant les Polonais à s’armer contre sa voisine et à s’allier avec la Russie pour anéantir les visées expansionnistes de la Prusse.[3] Ses virulents écrits firent beaucoup de bruit à Varsovie[4] et obligèrent le roi a s’excuser auprès des représentants de la Prusse et à interdire à Potocki la publication de ses oeuvres qui, malgré cette censure, continuèrent à circuler librement dans la ville.
Dans ses premiers écrits, Potocki étaya ses théories en citant des exemples qui se référaient à des pays et des cultures peu connus des Polonais. Cette façon d’écrire pouvait dépendre du désir de Potocki de partager avec ses concitoyens son experience de voyageur, mais nous ne pouvons pas exclure que, au début de l’activité politique de Potocki, elle était aussi due à sa faible connaissance de la Pologne. La présomption de Potocki de pouvoir offrir la solution à de nombreux problèmes de l’état polonais, en se servant de l’expérience acquise à l’étranger, suscita chez ses compatriotes protestes et hilarité. Mais de nombreux hommes politiques reconnurent pourtant que Potocki, ne connaissant pas la situation polonaise dans ses détails, avait saisi tout de suite les plus importants problèmes qu’aurait du affronter l’administration de l’état en vue de sa modernisation.[5]

4. Toutefois, les idées politiques de Potocki n’étaient en rien catégoriques ou “hiératiques”; au contraire, elles subirent en peu de temps un radical changement: Potocki réalisa que le problème le plus grand que devrait affronter la Pologne était celui de redevenir un pays indépendant, de se délivrer du joug de la Russie. Pour renforcer l’état, en le réformant, il fallait donc chercher une forte protection à l’Etranger car la Russie n’aurait jamais accepté de perdre son influence sur la Pologne. Les partisans des réformes (“parti des patriotes”) voyaient dans l’alliance avec la Prusse l’unique solution qui aurait garanti à la Pologne une certaine autonomie. En vue de ce rapprochement entre les deux pays, les “patriotes” envoyèrent Potocki à Berlin durant l’automne 1789. Il discuta probablement alors avec le prince Henri, frère du roi de Prusse, des possibilités et des conditions de cette alliance.
Avant cette mission diplomatique, Potocki avait été elu en 1788 député à la Diète; mais les interminables discours de ses collègues le dissuadèrent d’assister aux assemblées d’autant plus que ne connaissant pas bien le polonais, il ne pouvait pas prendre part aux débats. Potocki était persuadé que l’introduction de changements institutionnels ne dépendait pas principalement de l’accord de la Diète, mais de l’approvation de ce projet par la nation. En effet, Potocki – observateur attentif des événements qui boulversaient alors la France – était convaincu qu’il n’était possible d’obtenir le consentement de l’opinion publique qu’à travers une forte propagande.[6] Tout en continuant à rédiger de brefs traités politiques, il commença, dès novembre 1788, à publier des articles sur le “Journal Hebdomadaire de la Diète”, dont il était lui-même le fondateur.[7] Souhaitant que Varsovie ressembla à Paris, où les idées pouvaient circuler librement, Potocki fonda une typographie (Imprimerie Libre), organisa un club politique et ouvrit une bibliothèque publique.
Durant l’été 1790, Potocki entreprit un long voyage au Maroc et en Europe, qui s’acheva par son retour en janvier 1792. Nous pouvons supposer que l’étape marocaine – comme dans le cas de son voyage à Berlin en 1789 – était l’occasion d’une mission politique de caractère non-officiel.[8] Il s’agissait d’évaluer les possibilités que le Maroc devienne un allié de la Pologne, puisque les deux pays souhaitaient la victoire de la Turquie contre la Russie.[9]

5. Juste avant de partir pour le Maroc, Potocki avait publié dans son Imprimerie Libre un Essay d’aphorismes sur la liberté.[10] Ce bref traité (dans l’édition moderne, il ne compte que huit pages) fut divisé en trois chapitres: chaque chapitre correspondait à un cahier. Potocki, qui voulait absolument faire paraître l’Essay avant son départ pour le Maroc, l’imprima au fur et à mesure qu’il l’écrivait. La hâte explique donc les nombreuses fautes d’orthographe et de grammaire qui constellent le texte. Comme Potocki suscitait dans ses contemporains un grand intérêt – étant consideré un homme très excentrique –, il est fort probable que l’Essay fut connu dans une large mesure surtout à Varsovie où se concentrait la vie politique du pays. Comme la plupart des imprimés de Potocki, ce texte ne connut pas d’autres éditions. L’Essay a été réédité en 1987 par Dominique Triaire, qui l’a inseré dans le receuil des Ecrits politiques de Potocki.
Dans cette œuvre, qui conclut la première période de son activité politique, Potocki résuma ses réflexions sur la liberté. Dans l’Essay, Potocki nous apparaît comme un écrivain déjà mûr, lecteur attentif surtout de Montesquieu et de Rousseau, qui cherche à appliquer leurs théories à différents contextes politiques. Avec cette œuvre, Potocki démontre à ceux qui, au début de son activité, l’accusait d’être incompétent sur les questions polonaises, sa capacité à reconnaître non seulement les problèmes essentiels du gouvernement polonais, mais aussi à les replacer dans le cadre européen.
L’Essay parut alors qu’en Pologne on débattait fervemment des moyens de sauvegarder la liberté. Pour les Polonais, le mot “liberté” signifiait deux choses: premièrement, il représentait la liberté personnelle que la noblesse obscurantiste défendait; deuxièmement, il s’identifiait avec l’indépendance nationale, fin suprême des partisans de la réforme de l’Etat.
Cette fois, Potocki, qui avait commencé sa carrière d’écrivain politique en cherchant à mieux connaître le rapport entre liberté, gouvernement et nation - sur l’exemple hollandais -, se proposa de décrire comment ce rapport se traduisait dans le contexte polonais. Cependant, nombreux points de son Essay dépassait le cadre des frontières polonaises pour étendre la réflexion à la situation politique de nombreux pays européens.

6. Dans l’Essay, Potocki soutient que l’approche de la liberté ne doit pas être purement émotif mais, qu’au contraire, il faut que cette question soit abordée en termes rationels, en se servant de méthodologies semblables à celles utilisées par la science. Seulement une étude attentive de cette question, étayée par de nombreuses références aux époques passées (et donc avec l’aide de l’histoire) permettra de comprendre comment exercer le droit à la liberté. Les hommes de chaque société devrait donc reconnaître ainsi quels sacrifices ils doivent affronter pour pouvoir jouir de ce droit dans la plus large mesure. Là où les hommes ne sont pas prêts à sacrifier une part de leur liberté personnelle, au lieu de la liberté, ils n’auront que le désordre.
Mais l’étude de la liberté, comme le soutient Potocki, diffère des autres études scientifiques en un point fondamental: la liberté ne peut pas être étudiée dans l’abstrait, tout comme il ne peut lui être appliqué une seule et unique théorie parce que la nature a créé de nombreuses typologies de “races humaines”, toutes différentes entre elles; et si les nations ont été créé avec différents moules, comment peuvent-ils vivre selon les mêmes principes de gouvernement? Potocki ne peut donc concevoir un unique modèle de liberté puisqu’il n’existe pas un unique modèle d’homme. L’étude de la liberté doit alors toujours considérer la réalité concrète et se mettre constamment en relation avec elle. Savoir être libre, selon Potocki, n’est donc pas exactement une science, mais un art[11].
Cependant, l’exemple français d’une révolution radicale ne convainct pas Potocki, car elle implique de trop violents changements[12]. Selon Potocki, les réformes, nécessaires à tous les états, doivent être introduites lentement: pour rénover un pavage de mosaïque, soutient-il, il n’est pas nécessaire de le défaire entièrement; il suffit de remplacer les tasselles abîmées. Il affirme que ceux qui conduisent la révolution se trompent en pensant avoir le droit de décider du bonheur des hommes et de pouvoir le sacrifier au nom du bonheur des générations à venir; comme si les hommes du présent n’avaient pas eux-aussi le droit d’être heureux[13].

7. Potocki croit que chaque nation se choisit la forme de gouvernement la plus conforme à son caractère; c’est donc la nation qui forme le gouvernement et non le gouvernement qui forme la nation[14]. Potocki doute encore qu’il soit exact d’indiquer le gouvernement républicain comme celui qui offre la liberté la plus grande. Il soutient qu’il y a des nations auxquelles il ne convient que la monarchie, parce que ce type de gouvernement est conforme au caractère des habitants du pays. En effet, il y a des nations, gouvernées par des monarques, qui jouissent d’une plus grande liberté que si elles étaient régies par une république. “L’extention de liberté, dit-il, que se donneroit un peuple en abbolissant la royauté seroit aussi plus dangereuse qu’utile: car alors ce peuple au lieu d’être en garde contre l’ambition d’un seul, seroit obligé de se tenir en garde contre l’ambition de plusieurs”[15].
Cette réflexion, qui renvoie directement à l’Esprit des lois de Montesquieu, se réfère principalment à la Pologne où l’on ne remettait pas en cause l’existence même de la monarchie, mais où les partisans des réformes déclaraient la nécessité de renforcer la position du roi en introduisant, à la pace d’un trône électif, la succession. Potocki est favorable à ce projet car il trouve le système de l’élection beaucoup plus dangeureuse que la succession:

L’extention de liberté que se donneroit un peuple en rendant le trône éléctif seroit aussi plus dangeureuse qu’utile, car alors même que l’on auroit obvié aux désordres de l’interregne et de l’élection, il restera encore deux écueuils dificiles à éviter. Car si le Roi électif a beaucoup de pouvoir il en résultera le népotisme de Rome, et s’il a peu de pouvoir il en résultera l’insipide représentation Dogeale, à quoi les Vénitiens n’ont remedié qu’en donnant un pouvoir despotique aux inquisiteurs[16].

Selon Potocki, tout dépend de la “race” de laquelle fait partie le peuple. Il faut tout de suite préciser que le terme de “race” a pour Potocki le même sens que “diversité”, mais qu’il s’agît d’une diversité d’un certain type, d’une diversité “intérieure”. “La Nature – dit-il – à eu trente moules exterieurs pour les races humaines, tous diférents les uns des autres, et l’on veut qu’elle ait eu qu’un seul moule intérieur, et que les mêmes principes de gouvernement puissent servir à tous”[17].

8. Le critère qui lui sert à distinguer les différentes races ne concerne pas l’aspect physique, la couleur de la peau ou des cheveux, mais s’attache à la diversité du modèle intérieur de l’homme. Ces “différences raciales” consistent alors surtout dans les diverses fins que les peuples poursuivent, dans leurs habitudes, vertus et traditions - tous ces éléments constituent le caractère d’un peuple. Potocki cite alors l’exemple des polonais et des prussiens qui déclarent d’appartenir à deux races différentes, bien qu’ils aient le même teint et qu’ils soient voisins. Pour Potocki, la religion ne constitue pas non plus un critère toujours valide de distinction entre les races: Potocki observe, par exemple, que les turcs maltraitent les maures, qui vénèrent pourtant le même dieu. Malgrés la conformité de mœurs et de réligion, dit-il, j’ai toujours trouvé très malheureux les Arabes par tout où ils étoient soumis aux Turcs [...]. On trouvera de même les Slaves très malheureux par tout où ils obéïssent aux Allemands, et les Allemands de la Prusse qui se trouvoient sous notre domination, avoient aussi bien de la peine à s’y accoutumer. Non que l’un de ces peuples ait plus de vices ou des vertus que l’autre; mais parce que leurs vices et leurs vertus ne sont pas les mêmes[18].
Le style de Potocki, concis et ironique, ressemble par certains traits à celui de Montesquieu; mais les analogies entre les deux auteurs ne se limitent pas à la forme. Comme Montesquieu, Potocki croit aussi qu’il n’ y a pas de solution universelle, adaptée à toutes les sociétés, car chacune d’entre elles a des besoins différents de l’autre et se sert de moyens différents pour atteindre les propres objectifs. Potocki croit que les Européens devraient abandonner leur habitude de juger les autres peuples selon les standards d’une culture qui leur est propre et particulière. Pour Potocki, l’erreur la plus grande consiste en effet à évaluer les autres peuples en utilisant le critère de “civilisation”. Les Européens devraient finalement admettre de n’être absolument pas supérieurs à d’autres habitants de la terre seulement parce qu’ils ont su mieux soumettre la nature à leurs besoins. Montesquieu l’avait dit dans les Lettres persanes, Potocki le repète dans ses récits de voyage. Dans ses livres, nous trouvons en effet très souvent des observations comme celle de Voyage dans l’Empire de Maroc: “Hélas! Les voyageurs n’ont, ordinairement pour observer, que les lunettes qu’ils ont apportées de leur pays et négligent entièrement le soin d’en faire retailler les verres dans le pays où ils vont. De là tant de mauvaises observations”[19].

9. Se référant à la noblesse polonaise qui ne veut pas renoncer à une part de ses privilèges, dans l’Essay Potocki résume la définition de Montesquieu de la liberté, concluant que savoir être libre signifie savoir renoncer à une partie de ses privilèges. En effet, Montesquieu avait déclaré qu’il ne fallait pas confondre la liberté avec l’indépendance, car la première donne “le droit de faire tout ce que les lois permettent”[20], tandis que la seconde doit être comprise comme le pouvoir de faire tout ce que ces lois défendent. En Pologne, les deux termes sont confondus, et comme l’observe Montesquieu: “l’indépendance de chaque particulier est l’objet des lois de Pologne; et ce qui en résulte, l’oppression de tous”[21]. Potocki ne reprend pas directement le texte de Montesquieu, mais c’est à lui qu’il se réfère en expliquant à la noblesse polonaise que la liberté ne consiste pas de faire tout ce que l’on veut: “La science de la liberté, dit-il, consiste dans le sacrifice d’une partie de ses droits”. Il ajoute ensuite, non sans ironie: “Dans la société, chacun a le droit de parler, de se lever, et de s’assoir, cependant si chacun vouloit sans cesse exercer ce droit, il en résulteroit, un désordre insuportable”[22] - désordre qui s’est en effet manifesté dans la situation politique polonaise. Pour Potocki, les diversités entre les hommes dépendent donc surtout des facteurs intérieurs, liés aux différences de caractère. Mais il n’exclut pas que les facteurs extérieurs, liés au milieu, puissent contribuer aussi à rendre les hommes plus ou moins portés à la liberté.
En effet, dans le Voyage dans l’Empire de Maroc, Potocki applique la théorie de Montesquieu et de Rousseau[23] sur l’influence du milieu pour expliquer pourquoi, parmi les habitants d’un même pays, certains détestent le despotisme et l’esclavage et d’autres les acceptent. Il observe qu’en général les “arabes orientaux” (expression avec laquelle il désigne les habitants de Tunis, Tripoli et Alger) savent résister avec plus de force au despotisme que les “arabes occidentaux”, c’est-à-dire les habitants du Maroc. Le despotisme est pour lui une des conséquences de la théocratie, qui est elle-même la conséquence d’un gouvernement de type dynastique. Ce type de gouvernement se développa originairement dans les villes et fut longtemps ignoré des tribus nomades.

10. Les Arabes, écrit-il, sont peut-être le peuple du monde qui a le plus d’amour pour l’égalité et le plus de haine pour le despotisme. Celui-ci n’a jamais existé chez les Arabes nomades. Il ne s’est introduit chez les Arabes des villes qu’à la faveur de la théocratie, et il était alors tempéré par la loi. [...] Toutes leurs dynasties [les dynasties des arabes] ont commencé par des théocrates”[24]. Les villes du Maroc situées au bord de la mer sont donc fondamentalement contraires au despotisme, et, en effet, avant qu’elles fussent incorporées à l’Empire, elles avaient un gouvernement républicain ou municipal. Les habitants de ces villes diffèrent aussi du reste de la population du Maroc par le caractère: ils sont probes, dociles et leurs mœurs sont simples. Selon Potocki, c’est grâce à ces vertus qu’ils ont toujours détesté non seulement le despotisme, mais aussi l’esclavage. Au contraire, les habitants de la montagne qui, dans le passé, avaient une prédilection pour le gouvernement de type patriarcal, sont décrits comme avides, cruels, irascibles et ont une tendance à l’esclavage.[25]
Les grandes diversités entre les habitants de l’Empire du Maroc constituent selon Potocki le motif pour lequel il est impossible de décrire le gouvernement de ce pays simplement comme “despotique”. Potocki montre d'ailleurs comment cette définition peut se révéler sommaire et inadéquate pour décrire une situation politique si diversifiée. Selon Potocki, les écrivains européens nourrissent encore trop de préjugés vers les pays de l’Islam, et souvent, par ignorance ou paresse, au lieu de chercher à connaître à fond le caractère des populations arabes, ils préfèrent se cacher derrière la commode définition du gouvernement despotique:

L'on a bientôt dit qu'un gouvernement est despotique, aristocratique ou démocratique. Ces trois mots on été jusqu'au présent fort commodes à la paresse des auteurs, et c'est dommage [...] qu'ils n'apprennent absolument rien au lecteur. [...] Il me serait à moi-même plus commode de dire simplement, comme on l'a fait jusqu'ici, que le gouvernement de Maroc est despotique; mais en m'exprimant ainsi, je ne croirais pas en avoir donné la moindre idée. J'ai donc cherché diverses routes pour conduire mes lecteurs sur les bords de ce chaos politique où l'on ne verra peut-être jamais surnager l'esprit d'ordre et de constitution [...]. L'Empire de Maroc paraît être [...] un corps politique composé d'éléments incohérents sans affinité entre eux et toujours prêts à se dissoudre[26].

11. Le voyage en Hollande offrit ensuite à Potocki l’occasion de réfléchir sur comment certains facteurs en soi positifs, comme la richesse et le bien-être de toutes les classes sociales, peuvent avoir une influence négative sur le penchant d’une nation vers la liberté. Potocki soutient que les paysans hollandais n’avaient pas appuyé les républicains, non pas à cause d’une particulière dévotion au stadhouder, mais parce que celui-ci représentait à leurs yeux une garantie de la conservation du vieil ordre et qu'ils n’avaient pas l’intention de risquer de perdre tout ce qu’ils possédaient en poursuivant un fantasme appelé “liberté”. Potocki observe alors avec ironie qu’un pauvre colon de l’Amérique du Nord est prêt à combattre pour des idéaux justement parce que tout ce qu’il met en jeu c’est la cabane en bois où il vit, et que quand elle prend feu, c’est comme si la forêt qui l’entoure brûlait. Mais peut-il en être de même pour un paysan hollandais qui possède des collections de rares fleurs, des porcelaines et d’autres objets de luxe?[27] Potocki ne s’étonne donc pas que ces paysans-là, qui vivent une vie tranquille de personnes aisées, adonnées à l’accumulation de richesses, n’aient aucune intention de partager avec le stadhouder le gouvernement du pays.
Potocki croit donc que la liberté n’est pas toujours conditionée par les facteurs extérieurs, physiques, mais, au contraire, qu’elle peut être aussi liée aux conditions materielles des personnes. En effet, les paysans hollandais ne s’intéressent pas à la forme constitutionelle garante de leur liberté politique tant que leur prosperité est assurée. Ici se pose alors la question de savoir si la pensée de Potocki est réellement cohérente avec sa réflexion sur les fondaments de la liberté. Tout cela pourrait en effet paraître contradictoire si nous ne tenions pas compte du grand pragmatisme et de la constante volonté de Potocki de se confronter à la réalité. C’est pur cela qu’il donne beaucoup d’importance au temps qui passe, car avec le temps, les exigences de chaque société peuvent changer et, dans ce cas, l’approche du concept de liberté change aussi.
C’est encore pour cela que Potocki n’a jamais été un défenseur de la liberté à tout prix. Bien qu’il ait toujours été du côté des partisans de la liberté, Potocki a pourtant toujours soutenu que la liberté doit être le moyen, pas une fin, et qu’il faut parfois savoir y renoncer si les conséquences de cette recherche deviennent néfastes pour la nation. Cette attitude se manifestait déjà dans le Voyage en Hollande, où Potocki ne reprochait aucunement aux bourgeois de ne pas avoir sacrifié leur richesses pour défendre les ideaux républicains. Il suggérait pourtant que l’ouverture des digues, qui aurait causé l’inondation des terres, aurait pu détourner les prussiens de leurs actions de pacification[28].

12. Il faut aussi ajouter que Potocki n’était pas du tout sûr que tous les hommes aient droit de jouir de la liberté. À ce propos, son opinion se manifeste clairement dans les pages finales du Voyage en Hollande, qui ne concernent pas la révolution hollandaise, mais la Grande Diète polonaise (1788-1792), et plus précisément la demande présentée par une partie des députés d’abolir l’esclavage de la glèbe. Potocki en effet refuse d’accorder immédiatement la liberté aux paysans, argumentant qu’ils ne sauraient qu’en faire, n’étant pas habitués ni à gérer leur vie, ni surtout à travailler sans y être forcés. Pour lui, l’unique personne qui puisse prendre soin des paysans est leur patron, qui, pour sauvegarder ses intérêts, les oblige à travailler, empêchant par là même qu’ils ne meurent de faim[29].
Selon Potocki, chaque nation aspire à un type particulier de liberté, et c’est pour cela que le concept de liberté doit être constatement redéfinit par rapport à une concrète situation historique, politique et sociale. Dans le cas de la Pologne, soutient-il, la liberté ne devrait pas se référer en premier lieu à la condition d’un seul individu, mais, au contraire, concerner avant tout l’indépendance du pays de toutes forces étrangères. C’est la raison pour laquelle la revendication de la liberté individuelle, si désirée à cet instant précis par les révolutionnaires français, passe pour Potocki au second plan. La situation dans laquelle se trouvait alors la Pologne étant en effet complètement différente de celle de la France. Potocki dit encore que si les polonais veulent survivre comme nation, ils doivent éloigner la menace de la perte totale de leur souveraineté, problème qu’un pays fort comme la France ne dû pas affronter.
La découverte en 1958 du Manuscrit trouvé à Saragosse a suscité un grand intérêt, permettant aux chercheurs de mieux connaître la personnalité et l’œuvre de Potocki. En effet, c’est suite à la publication de ce roman que l’on a redécouvert et reconstruit les écrits politiques de Potocki, ’éparpillés’ dans différents archives d’Europe et finalement publiés en 1987[30]. La plupart des écrits publiés alors étaient inédits: en effet, à l’époque de Potocki, seules quelques copies manuscrites circulaient en Pologne. Le contenu de ses écrits politiques ne peut évidemment pas être comparé aux thèmes, originaux et innovatifs de son roman, qui, encore aujourd’hui, sont l’objet de nombreuses études littéraires et philosophiques.

13. Il serait cependant erroné de sous-évaluer la production de publiciste et les écrits de voyage de Potocki, en se limitant à répéter ce qui a déjà été dit par certains critiques, c’est-à-dire, qu’il manquait à la pensée politique de Potocki non pas tant l’originalité que la cohérence et le sérieux. L’erreur que commirent les critiques fut de juger la production politique de Potocki en considérant ses vicissitudes personnelles.[31] Ils ne virent pas en Potocki le lecteur attentif des philosophes qui avait cherché à adapter leurs théories aux réalités concrètes de pays très différents l’un de l’autre, mais un suicidaire qui tentait de combattre sa dépression en se lançant, pour peu de temps, dans les affaires politiques de sa patrie.
Dans ces quelques pages, j’ai voulu démontrer que la pensée politique de Potocki, bien qu’elle ait été exprimée de façon fragmentaire, non seulement ne pèche par son incohérence, mais, tout en étant le fruit du moment historique (c’est-à-dire que ces écrits étaient destinés aux contemporains et non pas à la postérité), conserve des traits qui sont encore aujourd’hui de grande actualité. Potocki a réussi à parler de diversité et de race sans jamais tomber dans l’intolérance. Son œuvre politique ne colporte aucun des préjugés dont les sociétés actuelles ont encore du mal à se débarrasser.

[1] J. POTOCKI, Voyage en Hollande fait pendant la Révolution de 1787, Varsovie, Drukarnia Wolna, 1789. Tous les récits de voyages sont cités dans l’édition moderne: J. POTOCKI, Voyages en Turquie et en Egypte, en Hollande, au Maroc, introduction et notes de D. BEAUVOIS, Paris, Fayard, 1980.
[2] Ignacy Potocki et Stanislaw Szczesny Potocki appartenaient à deux différents partis: le premier était un des chefs du parti des patriotes qui soutenait le projet des réformes et l’alliance avec la Prusse; le second était fidèle à la Russie et s’opposait à toutes réformes, défendant les vieux privilèges de la noblesse. Ignacy Potocki sera un des auteurs de la Constitution du 3 mai 1791, tandis que Stanislaw Szczesny prendra la tête des troupes russes qui anéantiront l’espérance de réforme et d’indépendance de l’Etat polonais.
[3] Potocki débuta le 18 avril 1788 avec Ne quid detrimenti Res publica capiat, oeuvre écrite en français et traduite après sa pubblication en polonais. Première édition moderne dans J. WOLINSKI, J. MICHALSKI et E. ROSTWOROWSKI, Materialy do dziejòw Sejmu Czteroletniego [Materiaux pour l’histoire de la Diète de Quatre Ans], Wroclaw, Ossolineum, 1955, vol. I, pp. 3-10. Le titre est une adaptation d’une formule de Cicéron: videant consules ne quid respublica detrimenti capiat [les consules fassent attention que la république ne subisse quelque dommage]. La Pologne était désignée par le nom de Rzeczpospolita [République]. Potocki rédigea ensuite l’Essai de Logique (30 avril 1788) et Des choses dont un chasseur a besoin dans les forèts (5 mai 1788) – ces deux oeuvres, étant Žcrites après l’interdiction du roi de publier les écrits de Potocki, ne circulèrent qu’à l’état de manuscrits. Leur première édition moderne se trouve dans J. POTOCKI, Ecrits politiques, édité par D. TRIAIRE, Genève, Slatkine, 1987.
[4] Le 18 avril 1788, Joseph Aubert, résident français à Varsovie, écrivait au Ministère Français des affaires Etrangères: “Un certain comte Jean Potocki, arrivé tout fraîchement de France, de Hollande et d’Angleterre, faisait ici depuis son retour l’objet de l’attention de toutes les sociétés. Le roi lui témoynait un empressement dont il est bien difficile ailleurs qu’ici de se faire une idée. On n’avait jamais eu plus d’esprit, on ne parlait pas mieux, on n’écrivait pas mieux, car ce jeune homme avait aussi écrit et fait des observations profondes et intéressantes, [...] jamais enfin on n’avait prodigué à personne plus de louanges et plus d’adulation. Hier encore j’en suis le témoin en soupant avec lui chez Sa Majesté, lorsque ce matin au grand étonnement de tout le monde ce même Adonis, la tète dépouillée de l’ample frisure qu’il avait la veille, ceint d’un grand sabre et affublé d’un habit des anciens Sarmates se présenta dans ce costume demandant audience du roi, l’obtient et remet à ce prince un manifeste ou une proclamation qui ne respire que la guerre et qui ne tient à rien moins qu’à faire prendre les armes à tout le monde pour aller attaquer le roi de Prusse. Des copies de cette pièce avaient déjà été envoyées par ses soins à beaucoup de jeunes gens et toutes les têtes sont dans ce moment en fermentation. Rien n’est aussi fou que les motifs et les moyens exposés dans cette pièce extravagante. Il est à désirer que la cour de Berlin ne donne aucune importance à cet acte de démence et qu’elle n’en prenne pas un prétexte de nous apprendre à mieux nous connaître en hommes et en choses” (E. ROSTWOROWSKI, “Post scriptum do Debiutu politycznego Jana Potockiego” [“Post scriptum au Début politique de J. Potocki”], Przeglad Historyczny, XLVIII, 2, 1957, pp. 285-286).
[5] J. WOLINSKI, J. MICHALSKI et E. ROSTWOROWSKI, Materialy do dziejòw, IX-X; J. SZCZEPANIEC, “Jan Potocki w poezji z lat 1788-1789” [“Jan Potocki dans la poésie des années 1788-1789”], Wiek Oswiecenia, X, 1994, pp. 51-88.
[6] “... puisse cette opion publique reprendre enfin parmi nous la force qui lui est due. Divinité des coeurs honnètes, et flétrissante dans ses châtiments, tous les jours elle étend son pouvoir. Sa crainte salutaire a mis en France des bornes à la Puissance des Rois, elle a sauvé la liberté de la Flandre et le trésor d’Amsterdam. C’est au service de ce culte étranger que je consacre un premier autel” (POTOCKI, Essai de logique, dans Ecrits politiques, p. 24).
[7] Le “Journal Hebdomadaire de la Diète” fut publié régulièrement pendant toute la durée de la Grande Diète (le premier numéro parut le 9 novembre 1788, le dernier le 6 juin 1792). Il était rédigée en français et adressé surtout aux spectateurs étrangers de la Diète qui résidaient alors nombreux à Varsovie. La plupart des articles concernait les travaux de la Diète, mais il ne manquait pas aussi les commentaires sur la situation politique internationale. Potocki ne dirigea jamais le journal qu’il avait fondé, se limitant à une collaboration irrégulière. Ses articles, rédigés en forme de “Lettres au Rédacteur” (ou à “l’auteur du Journal”) furent publiés anonymement du 21 février 1790 (n. VIII), jusqu’au 11 juillet 1790 (n. XXVIII) et les cinq dernières lettres parurent après le retour de Potocki de son voyage en Maroc, du 8 février 1792 au 28 mars 1792.
[8] D. BEAUVOIS, Jean Potocki, voyageur, dans J. POTOCKI, Voyages, vol. I, pp. 7-41; D. BEAUVOIS, “Un proche bien encombrant de Stanislas-Auguste: Jean Potocki et ses papillonnements politico-diplomatiques entre la Grande Diète et le voyage au Maroc (avec une lettre inédite)”, Wiek Oswiecenia, XV, 1999, pp. 229-246; J. LOJEK, “Polska misja dyplomatyczna w Hiszpanii w latach 1790-1794” [“Mission diplomatique polonaise en Espagne dans les années 1790-1794”], Kwartalnik Historyczny, LXXII, 2, 1965, pp. 325-345.
[9] Contrairement aux ésperances des Polonais, la guerre entre la Turquie et la Russie (1787-1792) n’affaiblit pas cette dernière ni détourna son attention de la Pologne.
[10] J. POTOCKI, Essay d’aphorismes sur la liberté, Varsavia, Drukarnia Wolna, 1790, dans Ecrits politiques, pp. 75-83.
[11] En 1792 Potocki écrivait en partant de Paris: “Adieu belles espérances de l’année dernière. La liberté y survivra, mais ce qui est de la félicité publique, adieu pour cette génération” (W. KOTWICZ, Jan hr. Potocki i jego podróż do Chin [Le conte Potocki et son voyage en Chine], Wilno, 1935, p. 13).
[12] POTOCKI, Essay d’aphorismes cit., pp. 80-81.
[13] “Les amateurs de la théorie ont adopté une méthode aisée; ils négligent dans leurs calculs le tems présent disant, qu’il ne s’occupent que du bonheur des générations futures. Mais [...)] il pouroit se trouver dans la génération présente des hommes qui auroient aussi la prétention d’être heureux” (POTOCKI, Essay d’aphorismes cit., p. 80). Dans sa “Quatrième lettre à l’auteur du Journal”, datée 21 mars 1790, Potocki commentait ainsi l’Adresse à la Nation redigé par Talleyrand en février 1790 : “L’Evêque d’Autun dit: Voyez comme les jeunes coeurs palpitent de joie et d’espérance. Mais on pourroit lui répondre que les hommes de quarante ans ont aussi la prétention d’être heureux” (POTOCKI, Ecrits politiques cit., p. 55).
[14] “Les théoristes ne comptent [...] pour rien le caractere des peuples. Ils disent que c’est le gouvernement qui fait les nations, mais [...] on peut dire avec encore plus de raison que ce sont les nations qui font leur gouvernement” (POTOCKI, Essay d’aphorismes cit., p. 81).
[15] Ibidem, p. 76.
[16] Ibidem, pp. 76-77.
[17] Ibidem, p. 81.
[18] Ibidem, p. 82.
[19] J. POTOCKI, Voyage dans l’empire de Maroc. Fait fait en l’année 1791. Suivi du Voyage de Hafez, Récit oriental, Varsovie, Dufour, 1792. Nous citons ici l’édition moderne: POTOCKI, Voyage dans l’empire de Maroc cit., p. 167.
[20] MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Livre XI, ch. iii, in Œuvres complètes, éditées par D. Oster, Paris, Seuil, 1964, p. 586.
[21] Ibidem.
[22] POTOCKI, Essay d’aphorismes cit., p. 76.
[23] “Le climat contribue infiniment à modifier l’esprit” et encore: “Les causes morales forment plus le caractère général d’une nation et décident plus de la qualité de son esprit que les causes phisiques” (MONTESQUIEU, Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères dans Œuvres complètes cit., pp. 487 et 493). “La liberté n’étant pas un fruit de tous les Climats n’est pas à la portée de tous les peuples. Plus en médite ce principe établi par Montesquieu, plus en sent la vérité. Plus on le conteste, plus on donne occasion de l’établir par de nouvelles preuves” (J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social, livre III, viii, dans Œuvres complètes, éditées par B. GAGNEBIN et M. RAYMOND, Gallimard, Pléiade, 1964, vol. III, p. 414).
[24] POTOCKI, Voyage dans l’empire de Maroc cit., p. 249.
[25] Les observations de Potocki diffèrent des opinions d’autres voyageurs qui trouvèrent les habitants de la montagne peu inclines à être assujettis.
[26] POTOCKI, Voyage dans l’empire du Maroc cit., pp. 248-249. Cfr. l’introduction aux Voyages de Potocki par D. BEAUVOIS, Jean Potocki, voyageur cit., pp. 30-41, et l’étude de J. ZIETARSKA, “Relacje Jana Potockiego z Turcji, Egiptu i Maroka na tle pismiennictwa podrozniczego doby Oswiecenia” [“Relations de J. Potocki de la Turquie, de l’Egypte et du Maroc et la litérature de Voyage à l’époque des Lumières”], Przeglad Humanistyczny, I, 1973, pp. 41-59.
[27] “Car ce bien de l’âme qu’on nomme liberté se trouve malheureusement incompatible avec cet autre bien de l’imagination qu’on nomme luxe de superflu. Le colon américain [...] voyait [...] brûler sa maison d’écorce et de poutres mal équarries du même œil qu’il aurait vu brûler la forêt voisine. Mais comment se résoudre à sacrifier des renoncules, de la porcelaine du japon, des joujoux d’or et d’argent quand on a passé sa vie à en faire collection? Or cet attachement aux choses de fantasie, qui caractérise proprement le luxe, se touve en Hollande principalement chez le paysan” (POTOCKI, Voyage en Hollande cit., p. 132).
[28] Ibidem, p. 143.
[29] Ibidem, pp. 147-148.
[30] Cfr. note 3.

[31] “Jean Potocki était un déséquillibré. On exagérait sur sa prétendue folie, il souffrait pourtant alternativement d’états de dépression ou d’excitation nerveuses. Et le printemps de l’année 1788 était une époque d’excitation dans laquelle il se jeta avec fièvre. La constitution psychique de Potocki conditionnait à la fois le manque de suite dans ses activités et son extraordinaire indépendance [...] dans la mentalité de cet homme sensible et sincère, comme, dans un sismographe, s’inscrivirent les secousses de son temps. Il fut non seulement l’observateur de symptômes de la crise, mais cette crise se répercuta dans sa tête” (E. ROSTWOROWSKI, “Jean Potocki témoin de la crise de l’ancien régime en Europe et en Pologne”, Les Cahiers de Varsovie, III, 1975, p. 15, 25). Nous retrouvons ces mêmes considérations dans son “Debiut polityczny Jana Potockiego” [“Début politique de J. Potocki”], Przeglad Historyczny, XLVII, 4, 1956, pp. 685, 710-711. Notons qu’il s’agit ici de la première étude critique sur l’activité politique de Potocki. L’auteur a ainsi fait découvrir au public la production politique de Potocki, restée jusqu’alors presque inconnue. Nous citons ici la réplique de Jean Fabre publiée à la suite de l’article de Rostworowski de 1975: “Je ne sais pas, enfin, s’il y aura une présentation de Jean Potocki par un médecin, comme l’on a fait pour Rousseau, et qui le montrerait comme un cyclothymique, un “malade”, ce qui ne veut pas dire grande chose, car il montre en des moments graves du bon sens – en particulier, lorsqu’il s’agit de l’alliance prussienne, il ne montre pas l’enthousiasme d’Ignace [Potocki], mais une certaine réticence. Je pense donc qu’il y a des recherches à faire sur le personnage politique de Potocki. On a projeté sur toute son oeuvre son suicide, comme l’on a fait pour Cazotte, l’Abbè Prévost, par exemple. On a imaginé à l’Abbé Prévost une existence calquée sur ses romans et, pour Potocki, il se passe un peu la même chose” (p. 27).