1. Au regard de la riche et imposante carrière littéraire
de Jean Charles Léonard Simonde de Sismondi, le Tableau de l'agriculture
toscane (Genève, Paschoud, 1801) risque d'apparaître
comme une uvre mineure. On s'en souvient comme du premier écrit
de Sismondi (ou, plus précisément, du premier à être
passé sous presse)[1],mais
ce n'est que rarement que l'on s'arrête sur ce que son contenu a
de particulier. Certes, les observations d'ordre économique qu'il
renferme sont bien peu de chose comparées aux réflexions
du Sismondi de la maturité (en 1899 déjà, Albert
Aftalion, dans la première reconstruction d'ensemble de la pensée
économique du Genevois, notait que le Tableau était
une uvre d'agronome plus que d'économiste)[2].
De même, l'analyse de la genèse de la civilisation italienne
proposée dans l'avant-dernier chapitre de l'uvre fait pâle
figure comparée à la monumentale Histoire des républiques
italiennes (1807-1818), destinée à devenir l'inépuisable
répertoire des mythes fondateurs du Risorgimento italien.
Ecrasé par le poids de l'uvre postérieure, le Tableau
a ainsi fini par ne susciter qu'un intérêt mineur et, d'un
certain point de vue, excentrique au regard des voies généralement
empruntées par la critique sismondienne. C'est le style littéraire
qui, par exemple, frappe le critique Sainte-Beuve dans le portrait qu'il
dresse de Sismondi en 1863 et où la grande sensibilité de
l'homme de lettres supplée parfaitement aux vides documentaires.
"Dans une explication des Géorgiques de Virgile, il mériterait
d'être cité et allégué tout entier en commentaire",
note l'écrivain. Le lecture de Sainte-Beuve se focalise surtout
sur les chapitres - les plus remarqués et les plus souvent cités
depuis lors - qui à son avis "donnent bien la date" et traduisent
"aussi la légère intention littéraire qui venait
se mêler à ces instructions d'une économie rurale
positive". Ce sont sa description des champs de la plaine, sa peinture
transportant le lecteur sur les collines, son tableau vivant et coloré
de la ferme de Vaucluse, laquelle est d'ailleurs sa propriété,
qui, "sous le double rayon du soleil de l'Italie et de la jeunesse", font
pour une fois du Genevois un peintre et non un narrateur [3].
Parce qu'il témoigne du romantisme immanent, les historiens de
la littérature ont pu, récemment encore, voir dans le Tableau
l'expression d'une sensibilité individuelle, celle de l'auteur,
l'emportant, et de loin, sur les critères objectifs et ascétiques
qui devraient présider à une description [4].
Et pourtant ces suggestions venues du monde des lettres n'ont que rarement
réussi à explorer plus en profondeur le sens de l'uvre.
Or, c'est plutôt l'aspect documentaire du Tableau, sa valeur
de témoignage irremplaçable sur l'état de l'agriculture
dans le Valdinievole au début du XIXe siècle, qui lui a
permis d'être relu et rediffusé ces dernières années.
En 1980, l' Istituto regionale per la programmazione economica della
Toscana confiait à Simonetta Bartolozzi Batignani le travail
de reproduction de l'uvre en fac-similé, sur la base de l'exemplaire
conservé au cabinet Vieusseux de Florence et sauvé de l'inondation
de 1965 ; la même année, la municipalité de Pescia,
qui conserve encore la plus grosse part du Nachlass sismondien,
consacrait une exposition à "Sismondi et l'agriculture du Valdinievole
au XIXe siècle" [6]
; et en 1995 voyait le jour la première traduction italiennede
l'uvre, par Giuseppina Rossi [7].
2. Toutes ces initiatives ont incontestablement aidé à
faire une lecture plus rapprochée de cet ouvrage, à en mettre
en valeur les analyses économiques, parfois à peine ébauchées,
et à traiter à nouveau de la difficile question des rapports
de Sismondi avec la civilisation toscane, auxquels le Tableau sert
en quelque sorte de genèse.
Il n'en reste pas moins établi que le Tableau n'est pas
seulement l'uvre de jeunesse d'un économiste. Cette précieuse
information nous vient de deux infatigables chercheurs sismondiens, Helmut
O. Pappe et Paul Waeber [8],
qui se sont attachés au texte de 1801 dans une perspective strictement
biographique et documentaire. L'un et l'autre nous ont invités
à lire le Tableau à la lumière des Wanderjahren
sismondiennes, riches de contrastes, et à le replacer dans le cadre
qui fut le sien, sans se laisser aller à des comparaisons trompeuses
avec les écrits postérieurs. De cette opération la
valeur scientifique de l'uvre peut sortir affaiblie ; mais ce n'est qu'en
considérant le Tableau comme la pointe de l'iceberg d'une
intense activité souterraine, beaucoup plus tourmentée,
et en l'inscrivant dans les "passions" fondamentales de Sismondi de ces
années-là, qu'il est possible d'en comprendre le sens. Cette
approche est aussi la seule qui nous permette de replacer sous leur juste
éclairage ces anticipations romantiques qui semblaient avoir suggestionné
Sismondi l'espace d'un matin.
Ce sera donc en suivant cette dernière indication de méthode
que l'on s'apprêtera à présenter l'ouvrage aux lecteurs
à l'occasion du bicentenaire de sa publication. L'ambition de fond
étant de prouver que le Tableau est une uvre de jeunesse
qui ne peut être comparée à rien de ce qui est né
par la suite sous la plume du Genevois, mais est aussi celle qui recèle
à l'état embryonnaire les caractéristiques essentielles
du Sismondi de la maturité.
En lisant la préface et l'introduction, les repères géographiques
qui servent d'arrière-plan à la composition se laissent
immédiatement saisir. "A mes yeux le tableau de l'agriculture d'un
Département quelconque de la France serait toujours utile", est-il
écrit dans la préface ; dans l'introduction en revanche,
l'auteur nous prévient que ses réflexions trouvent leur
source dans une "double étude sur l'agriculture de Genève
et sur celle de la Toscane" [9].
France, Genève, Toscane : voilà le triangle, dont la base,
fragile, est représentée par la France. Genève en
effet avait été annexée à la "grande nation"
trois ans plus tôt, en avril, et la Toscane s'apprêtait à
l'être dans les jours qui suivaient, suite au retour victorieux
des armées napoléoniennes en Italie. Parmi les objectifs
que se fixait le Tableau, il y avait donc aussi, peut-on supposer,
celui de sauvegarder l'individualité historique et sociale de la
région, en mettant en garde contre des assimilations faciles et
précipitées. Les notes où il dénonce l'esprit
de système qui caractérise trop souvent les livres d'agriculture
ou la propension à préférer un "mieux" espéré
à un "bien" existant font écho à des jugements analogues
sur le nivellement des institutions accompli par la révolution
française, jugements consignés par Sismondi dans des écrits
plus directement politiques datant de ces mêmes années [10].
La description de la Toscane, et en particulier du Valdinievole, auquel
il s'attache plus particulièrement, pouvait représenter
un antidote à la comparaison établie avec la France, ne
fût-ce que sous l'aspect rural.
3. Quant au rapprochement entre Genève et la Toscane, il vient
nous rappeler tout l'investissement affectif que l'acquisition de la maison
de Pescia avait représenté pour le jeune Sismondi. Quand
le 21 octobre 1797 les Simonde avaient élu domicile dans la riante
petite ville toscane, la ressemblance géographique avec la campagne
genevoise de Châtelaine, d'où ils avaient été
chassés par la Terreur genevoise, avait dû peser considérablement
dans le choix du lieu. Le nom de Vaucluse qui avait été
attribué à la nouvelle villa pesciatine rappelle, pour reprendre
la suggestive citation de Pétrarque, "un vallon fermé, [...]
une gorge qui n'a d'issue que d'un côté" [11]:
telle était précisément la situation de Châtelaine,
protégée par les Alpes et ouverte vers le Salève;
telle était aussi celle de Pescia, située au débouché
d'une vallée des Apennins.
Mais, si l'on veut comprendre la force du sentiment qui, avant toute chose,
poussait le jeune Jean Charles à choisir la Toscane comme nouvelle
patrie, que l'on se souvienne que c'est lors de ce premier séjour
en Italie qu'il se persuade que sa famille paternelle est d'ascendance
pisane et qu'il commence à apposer à son nom le patronyme
de Sismondi, sous lequel il sera remarqué et connu par la suite
du monde des savants [12].
Sollicité par Simone Balayé, Guy Duipuigrenet-Desroussilles
s'est à juste titre interrogé sur le sens de ce changement
de nom. Sismondi ne choisit pas un pseudonyme littéraire, ne donne
pas la préférence au nom de sa mère par rapport à
celui du père, mais ennoblit ce dernier, le faisant descendre de
celui de l'une des plus anciennes familles de Pise, immortalisé
d'ailleurs dans la Divine Comédie [13].
Mais ce transfert de l'amour pour la patrie se complique avec la naissance
d'un "roman de famille" freudien. Il n'est pas impossible que ce soit
la honte, souvent rappelée par les biographes de Sismondi, que
lui inspirent les comportements excentriques et exubérants de son
père qui lui dicte cette métamorphose du nom.
Que Sismondi est uniquement le "fils de sa mère", cela a été
dit et répété tant de fois que c'est désormais
un lieu commun. Lui-même a fait part une fois de l'intensité
des liens qui l'unissaient à Henriette Girodz, universellement
présentée comme une femme d'exception.
"Aucune relation, je crois - écrivait-il à la comtesse d'Albany le 14 juillet 1811 - n'est plus intime que celle d'une mère et d'un fils, quand ils sont faits l'un pour l'autre, quand un même esprit, un même sentiment, un même goût les identifient, quand ils sont accoutumés à tout se confier comme les amis les plus tendres, ou qu'une affection élective, un goût qui les aurait faits se choisir entre mille, se joint à la protection maternelle, au respect filial." [14]
Et pourtant Sismondi publie ce Tableau en répondant aux sollicitations de son père et contre l'avis de sa mère! C'est en effet Gédéon-François qui en juin 1800, de Genève, lui recommande la rédaction d'"un mémoire sur l'agriculture toscane et particulièrement sur quelque objet qui fût applicable à ce pays ici", convaincu, à juste titre, que cela suffirait à lui assurer une rentrée digne dans le milieu genevois et sa nomination à la société d'agriculture locale. Henriette, elle, se montrait sceptique quant à la publication d'un livre écrit de façon trop précipitée, et cela encore en mars 1801, quand l'uvre était sortie des presses depuis déjà un mois [15].
4. Pour ce qui concerne ses premières années de formation
tout au moins, force est de reconnaître que Sismondi a en fait entretenu
avec son père des liens aussi étroits, sinon plus, qu'avec
sa mère. Tous ses choix culturels semblent aller dans cette direction
: avant même l'exil en Toscane, il laisse tomber l'apprentissage
commercial entrepris entre 1789 et 1792 chez les Eynard à Lyon
et les Odier à Genève (la tradition matrilinéaire),
et cela au profit des aspects les plus spécifiques de la tradition
culturelle paternelle : l'étude du droit (le grand légiste
genevois David Sartoris était un arrière-grand-père
paternel) et l'étude de la nature (occupation préférée
de Gédéon-François).
Ces intérêts, qui ont déjà pris forme dans
les dernières années du séjour genevois, trouvent
cependant leur consécration définitive lors du séjour
en Angleterre auquel se soumet la famille Simonde de 1793 à 1794,
pour échapper aux premières manifestations révolutionnaires.
On ne soulignera jamais assez l'importance pour le jeune Sismondi de ce
bref séjour dans l'île. En dépit du vide des sources
documentaires, il semble raisonnable d'affirmer que cette période
représente une étape fondamentale dans la vie de celui qui,
quelques années plus tard, apparaîtra comme un whig
continental [16]. Là-bas,
en effet, il entre en contact avec le monde de la dissidence politique
genevoise du XVIIIe siècle et, abandonnant les traits les plus
sévèrement aristocrates que la position inconfortable d'un
père responsable gouvernemental lui ont instillés, commence
à se construire une image unifiée, compacte et libérale
de la Genève d'Ancien Régime, qu'il intègre dans
ses réflexions politiques à teneur contre-révolutionnaire.
Là-bas, il commence à méditer sur le constitutionnalisme
de l'île et à le confronter à l'expérience
politique genevoise (en témoigne de façon exemplaire sa
lecture assidue, en anglais, de l'uvre politique de Jean-Louis Delolme)
[17]. Là-bas,
dans le sillage des études de botanique dont son père fait
ses loisirs, il entre en contact avec le monde des gentlemen farmers anglais
et, par l'intermédiaire de l'un d'entre eux, le pasteur Thomas
Martyn, découvre le caractère fortifiant de l'étude
de la nature - il marche alors dans les traces d'un autre Genevois célèbre,
Jean-Jacques Rousseau, dont les Lettres sur la botanique ont été
traduites par ce même Martyn [18],
remportant un énorme succès commercial. Et c'est peut-être
là-bas que s'ébauche son premier amour pour l'Italie, vers
lequel l'orientent aussi bien les moral philosophers de l'école
écossaise que la littérature du Grand Tour qui prend forme
dans ces années-là.
Rousseau lu à travers les lunettes des botanistes anglais, le mythe
de Genève revécu dans la célébration des cités-Etats
italiennes et utilisé de façon polémique contre la
notion de liberté de la révolution française : ce
sont là des assemblages capables de démolir nos généalogies
culturelles les plus solides. Mais dans le cas de Sismondi, il faut prendre
la chose au sérieux si l'on veut comprendre quelque chose à
cet apprentissage culturel. C'est à la lumière de ces connexions
que l'on peut saisir comment il réussit à polémiquer
contre Rousseau alors que, à en croire le témoignage de
sa mère, Charles était "un grand admirateur de cet auteur"
et un lecteur passionné d'Emile [19].
Après les écrits polémiques d'Edmund Burke contre
la révolution française et ses repères culturels,
par une sorte d'autocensure inconsciente, Rousseau devient en Angleterre
l'emblème de la redécouverte de la nature et de l'essence
spirituelle de l'homme [20].
5. Si le romantisme qui transparaît dans les meilleures pages du
Tableau peut prétendre à une source littéraire,
c'est du sentiment de la nature célébré par Rousseau
qu'il dérive. Mais le second leitmotiv culturel de Sismondi,
celui qui compte le plus dans sa formation - l'apologie des républiques
urbaines - n'est pas non plus sans incidence sur la structure du Tableau.
Le dernier chapitre de l'uvre, où Charles soutient que "l'agriculture
forme rarement de nouvelles richesses", est métonymique : en affirmant
que l'accumulation primitive se réalise dans le commerce, que "l'industrie
des campagnes" maintient "les richesses de l'Etat", mais que seule "celle
des villes les augment[e]", Sismondi expose son credo républicain
à lui et, une fois encore, le revendique dans un but antifrançais.
Ne rappelle-t-il pas lui-même que le point de vue opposé,
celui qui privilégie les campagnes, fut l'emblème du courant
de pensée économique dominant dans la France du XVIIIe siècle,
à savoir la physiocratie [21]?
Ce qu'il faut se demander, c'est plutôt si ces deux importants stimulants
culturels étaient conciliables. Le Tableau semblerait le
suggérer, puisqu'il fait place aux deux dans un développement
plutôt fluide, au point quasiment de nous convaincre qu'une synthèse
est possible entre l'attrait de la nature régénératrice
et les valeurs républicaines, entre l'attirance pour l'univers
créé et les villes.
Dans d'autres cas, leur coexistence avait été plus nettement
perçue comme source de conflits, de contradictions. "L'herboriste
de la duchesse de Portland se consolera sans peine de la mort de J.-J.
Rousseau", écrivait Rousseau en personne dans les Confessions [22]
: l'abandon dans les bras accueillants de la nature pouvait éveiller
un fort sentiment de culpabilité chez "le citoyen de Genève".
Dans les rares pages du journal intime de Sismondi qui nous sont parvenues,
il en est une, surtout, qui nous invite à lire l'idylle du Tableau
comme une synthèse réalisée a posteriori. A la page
datée du 9 octobre 1798, Sismondi fait part d'un rêve qu'il
l'a intimement troublé :
"J'étais à Genève, je crois, avec ma sur et Mme Ant... Je ne sais comment j'amenais celle-ci à dire, avec franchise, ce qu'elle pensait de moi ; elle me trouvait, ce me semble, des vertus et de la rudesse, du caractère et des connaissances, mais peu d'esprit, des sentiments mais point de grâces. Je rendis hautement justice à son discernement, lorsqu'elle ajouta : 'J'ai encore un reproche impardonnable à vous faire : c'est d'avoir abandonné ma patrie, et d'avoir voulu renoncer au caractère de citoyen genevois.' Je me défendais d'abord, en représentant que la Société n'était formée que pour l'utilité commune des citoyens, que dès qu'elle cessait d'avoir cette utilité pour but et qu'elle faisait succéder l'oppression et la tyrannie au règne de la justice, le lien social était brisé, et chaque homme avait le droit de choisir une nouvelle patrie. Mais elle a répliqué avant tant de chaleur en faisant parler les droits sacrés de la patrie, lien indissoluble qui lui attache ses enfants, la résignation, la constance et le courage avec lesquels ils doivent en partager les malheurs, lui en diminuer le poids, qu'elle m'a communiqué tout son enthousiasme. Je rougissais comme si je reconnaissais ma faute ; cependant j'alléguais ma sensibilité extrême pour elle ; je ne pouvais, disais-je, supporter de voir sa chute ; son avilissement surpassait ce que pouvait souffrir ma constance ; mais qu'elle eût besoin de moi, et du bout du monde, j'étais prêt à retourner à elle ; qu'elle eût essayé de se défendre contre les Français, qu'elle tentât encore de secouer leur joug, et j'aurais volé, je volerais encore... Je disais tout cela avec tant de chaleur, même d'enthousiasme et d'éloquence, que je me suis réveillé ; mais l'impression profonde que m'a faite cette conversation s'est conservée toute la matinée. [23]"
6. A l'éloquent langage des rêves puet être associé un autoportrait imaginaire, rédigé par Sismondi quelques mois plus tôt :
"Io sono nato a Halifax nella Carolina Settentrionale sul fiume Roanoax di una famiglia delle prime che abbiano lasciato l'Inghilterra per cercare pace e libertà di coscienza in America, mentre che la Chiesa Inglese era perseguitata da fanatici nel tempo di Cromwell. Mio padre aveva ricevuto un eccellente educazione in Europa, era un uomo di letteratura, ed aveva una delle migliori librerie che ci fossero in America ; quella gli era assai necessaria, poiché egli viveva in una piantazione delle più remote sul fiume Ohio, a circa 300 miglia d'Halifax, dove egli era venuto per motivo d'un suo fratello che vi esercitava la mercatura [...]. Io avevo già passato ventiquattro anni in questa solitudine imparando l'arte principale degli americani, l'agricoltura, travivendo più spesso coi selvaggi che con Europei ; quando le nostre infelici turbolenze cominciarono ; sentendomi egualmente spinto da una parte dalla passione per la libertà e d'all'altra dalla gratitudine per il governo Inglese, il più mite di tutte le colonie Europee in America, Io stetti neutrale per più d'un anno, la lontananza della nostra piantazione dispensandomi di prendervi parte. Quando la più terribile catastrofe mi spinse in un treno d'infortunio di cui Io non ho mai potuto uscire. [24]"
On a comparé la description de la ferme de Vaucluse et de l'agriculture
du Valdinievole contenue dans le Tableau à celle d'un paradis
terrestre en miniature, "un modèle réduit de la Création"
[25]. La métaphore
n'est cependant pas suffisamment extensible pour pouvoir représenter
les travaux agricoles effectués par Sismondi en Toscane et que
le Tableau ne fait, pour une bonne part, que synthétiser.
Le paradis terrestre transmet l'idée d'un bonheur parfait, qui
n'est pas celui de Sismondi. Dans la nature, dans la campagne, il cherchait
un réconfort, un refuge, mais ses vertus thérapeutiques
ne parvenaient pas à apaiser sa passion politique, encore attisée
par l'échec de ses idéaux.
C'est plutôt Sainte-Beuve qui voyait juste lorsqu'il décelait,
sous la passion pour l'agriculture de Sismondi, une influence virgilienne.
Sauf qu'il ne s'agissait pas de l'attrait cosmique de la campania felix,
mais de celui, plus mélancolique, du vieux Tityre ayant échappé
à la fureur dévastatrice des guerres civiles, tel que nous
le dépeint la première des Bucoliques."Impius haec tam culta
novalia miles habebit,/ barbarus has segetes? En quo discordia civis/
produxit miseros : his non consevimus agros" : c'est par cette citation
savante que, par exemple, Sismondi avait conclu un mémoire sur
les cultures fruitières destiné à l'Accademia dei
Georgofili [26]. Les
vers de Virgile jaillissaient spontanément au seul souvenir des
premières tailles faites selon l'usage de Montreuil dans ce bout
de paradis, dans ce coin perdu qu'était la campagne de Châtelaine.
7. Refaire la synthèse entre l'engagement civil et l'utopie campagnarde
était une tâche d'autant plus difficile que l'Italie de cette
époque était, aux yeux de Sismondi, un désert de
culture civique. Les observations contenues dans le Tableau sur
la faible utilité des académies d'agriculture, sur le si
mauvais goût des jardins, sur l'absence en Toscane d'une noblesse
campagnarde au sens anglais du terme, sont à comprendre comme des
témoignages vécus. Exception faite de l'individu d'exception
qu'était le prévôt Marco Lastri, réformateur
attaché au grand-duc Pietro Leopoldo et directeur des Novelle
letterarie jusqu'en 1791, Sismondi n'aura, à ce qu'il me semble,
pas réussi à établir de dialogue scientifique avec
qui que ce soit. "Quand j'arrivai en Toscane, je compris que ceux à
qui étaient adressées les lettres de recommandation m'oublieraient
vite" [27], écrit-il
dans son autobiographie édulcorée à laquelle nous
avons déjà eu recours une fois. La prise de conscience du
fossé culturel qui le séparait du milieu environnant devait
d'ailleurs l'amener à céder plus ouvertement à l'attrait
du monde agricole, à privilégier le dialogue avec les hommes
"intègres" que sont les paysans, à tenter de se construire,
pour son usage et sa consommation personnels, un monde à part (quitte
à en éprouver inconsciemment du remords, comme nous l'avons
vu).
Par ailleurs, rien n'interdit de rechercher une note personnelle dans
l'intérêt que Sismondi portait aux républiques italiennes
du Moyen Age, et qui devait le rendre célèbre plus tard.
Comme la Genève d'avant la Terreur, celles-ci étaient revisitées
à la lumière d'une utopie positive : elles représentaient
l'accord, historiquement réalisé donc encore susceptible
d'être expérimenté, de la vertu républicaine
et du "jardin" toscan. N'était-ce pas ce qu'il disait lui-même
en brossant dans son Tableau une esquisse de l'origine de la prospérité
italienne ? L'autogouvernement des cités ayant libéré
les campagnes, "l'industrie, l'activité et les talents [...] couvrirent
les collines de vignes et d'oliviers, transformèrent en châtaigniers
les sapins des montagnes, ouvrirent des routes dispendieuses sur le bord
des précipices, entourèrent les fleuves de digues, creusèrent
les canaux d'arrosement, comblèrent les marais, changèrent
enfin la face de la terre" [28].
Son adhésion à la municipalité révolutionnaire
de Pescia, née avec l'arrivée des armées françaises,
a donc de profondes motivations idéologiques. Accepter les principes
républicains proclamés par la France, quoique toujours de
manière critique et constructive, était la seule ressource
dont il disposait pour résoudre une contradiction, historique certes,
puisque née avec les seigneuries du XVe siècle, mais qui
était aussi source de malaise personnel. C'est de cette brève
période - les derniers jours d'avril 1799, plus précisément
- que date la rédaction du court traité qui aurait dû
marquer l'entrée de Sismondi sur la scène publique, mais
que les événements politiques empêchèrent sur
le moment de publier : Les Ressources de la Toscane ou Réflexions
sur trois questions importantes d'économie politique [29],
contribution qui, comme le rappelle lui-même Sismondi [30],
s'intègre utilement à la description de l'économie
toscane faite dans le Tableau.
8. En vérité, des trois questions que Sismondi se proposait
de traiter - par quels moyens le gouvernement peut-il venir en aide aux
manufactures sans entraver le commerce ? quelle est la forme de gestion
des biens nationaux la plus avantageuse ? quels bénéfices
peut-on attendre du partage des réserves et des biens communaux
? - le texte n'aborde que la première, les deux suivantes étant
finalement destinées à des "brochures séparées
qui se succéderont si cette première a quelque succès"
[31]. Que le problème
des manufactures ait eu la priorité s'expliquait probablement par
sa plus grande urgence : il était lié au problème
du paupérisme grandissant , mais aussi étroitement associé
à l'idée de régénération morale de
l'Italie, dans lequel Ettore Passerin a vu, à juste titre, le message
politique essentiel de ce texte [32].
Les Ressources représentent une application rigoureuse de
la doctrine économique de Smith, si l'on veut bien faire abstraction
de l'idée d'accorder des primes à la production pour venir
en aide à l'industrie malade de la soie. Mais ce qui d'Adam Smith
est surtout mis en valeur dans cet ouvrage, ce sont les aspects éthiques
implicitement contenus dans l'idée d'extension de "l'industrie",
entendue comme l'activité qui permet de transformer les matières
premières au moyen du travail [33].
Il a été dit récemment que pour Sismondi, la connaissance
de la pensée d'Adam Smith a plutôt contribué à
simplifier qu'à compliquer son rapport difficile avec Rousseau
[34]. Alors que Rousseau
évoquait dans un même souffle l'attrait persuasif de la nature
et l'engagement civil républicain (montrant combien il était
difficile de les associer), Smith au contraire, en plaçant le facteur
travail au cur de sa doctrine, montrait qu'il était possible,
sans que cela ait rien d'utopique, de renouer les liens entre la ville
et la campagne, entre la nature et la civilisation. Lu sous cet angle
plus politique et, au sens large, éthique qu'économique,
Smith pouvait même être contredit dans les détails,
si l'hérésie apparente servait à renforcer le noyau
essentiel de sa pensée, entièrement contenu, selon Sismondi,
dans la notion d'industrie.
Le choix de remédier à la crise commerciale de la Toscane
en soutenant la manufacture de la soie par le biais de primes à
la production était donc, parmi toutes les solutions possibles
énumérées par Sismondi, celle qui répondait
le mieux au rôle éducatif de l'économie. Distribuer
des vivres aux ouvriers au chômage non seulement revenait plus cher,
mais aurait "les effets les plus pernicieux sur le caractère moral
de ceux qui la recevaient" ; une vigoureuse politique de travaux publics
serait une source inépuisable de corruption, mettant à la
merci des gouvernants tous ceux qui en bénéficieraient.
Seule la relance des manufactures pouvait, tout en soulageant les indigents,
garantir une diffusion de l'industrie dans la région. "C'est ainsi,
écrit Sismondi, que l'économie publique, l'intérêt
de l'humanité, celui des murs et celui de la liberté se
réunissent à prescrire au Souverain d'aider le commerce"
[35].
9. Il n'y a donc pas contradiction entre la vertu et le commerce, entre
la politique et l'économie, comme l'avait écrit Rousseau
dans des pages célèbres. C'est la métonymie, déjà
mentionnée, qu'il crée entre activité commerciale
et cadre de vie citadin qui empêche Sismondi de voir entre elles
une fracture : comme le montrent les communes médiévales
d'Italie, économie des modernes et liberté républicaine
marchent d'un même pas. L'industrie, valeur essentiellement urbaine,
située au cur de la morale privée mais aussi, sous forme
d'énergie, de la morale publique, doit cependant irriguer les campagnes
si l'on veut qu'elle exerce véritablement toutes ses potentialités
régénératrices. C'est pourquoi, écrira aussi
Sismondi dans le Tableau, la manufacture de la soie doit être
préférée à celle du papier[36].
Mais ce sont là des questions sur lesquelles nous aurons le loisir
de revenir.
Que l'on nous permette simplement de faire remarquer ici que dans ses
réflexions politiques, Sismondi parvenait aux mêmes conclusions.
Là encore, la notion de société civile empruntée
par extrapolation à Adam Smith servait à contrer l'unanimisme
de la loi de Rousseau et, à l'inverse, l'ombre projetée
du citoyen de Genève donnait au problème de la vie en société
une dimension éthique. C'est avec ces repères en tête
qu'il convient de lire les passages du Tableau les plus significatifs
du point de vue théorique.
Mais avant cela, il nous faut aussi rendre compte brièvement des
travaux d'agronomie menés par Sismondi en Toscane. Dans sa préface
au Tableau, Sismondi écrit que "la campagne est dépeinte
telle que je l'ai vue, l'agriculture telle que les paysans la pratiquent,
telle que je l'ai pratiquée moi-même: ce n'est que très
rarement que j'y entremêle ou quelque expérience nouvelle,
ou quelque conseil que l'usage populaire n'ait pas sanctionné"[37].
Il ne faut pas se méprendre sur le sens de cet aveu : Sismondi
n'est pas quelqu'un qui ne connaît rien à l'agronomie ; s'il
affiche tant de réserves vis-à-vis de la théorie,
c'est simplement parce qu'il ne croit pas aux généralisations
hâtives. Comme le prouvent certaines notes de lecture non publiées,
il connaît au contraire ce que l'Europe a produit de meilleur en
la matière[38].
Et sa description idyllique de l'agriculture toscane consignée
dans le Tableau ne signifie pas que Sismondi n'a, en la pratiquant,
pas saisi certaines de ses lacunes. Si dans le Tableau il décrit
aux Genevois les aspects les plus ingénieux de l'agronomie toscane,
ceux qui mériteraient d'être repris, à Pescia il cherche
à diffuser des procédés agricoles en usage à
Genève. Le premier mémoire qu'il a présenté
à l' Accademia dei Georgofili, et qui lui a valu l'admission
en tant que membre, concerne la culture des prairies artificielles, totalement
inconnue des agriculteurs de Pescia - même si c'était alors
une question de premier plan dans le débat agronomique[39].
Même chose pour le second mémoire rédigé pour
l'académie florentine : en y traitant des espaliers et de la taille
des pêchers, il cherchait à remédier à un défaut
de l'agriculture toscane auquel il ne fera qu'une légère
allusion dans le Tableau. Voici comment Sismondi en justifiait
la rédaction à Marco Lastri, au moment de lui envoyer son
texte :
"In diverse passeggiate che ho avuto il piacere di fare con lei, abbiamo avuto luogo di osservare diverse spalliere tanto di peschi che d'altri frutti, e di lamentare la pessima maniera con cui esse erano trattate. Io mi rammento che ella convenne che l'arte della coltura delle spalliere, e della potazione, era tuttavia ignota in Toscana e m'invitò a scrivere quel che io avevo imparato o osservato su questa materia. Io ho principiato a farlo nel saggio che io gli mando, in cui ho trattato soltanto della coltura del pesco [...] Ella troverà forse il soggetto che io ho trattato affatto futile, e crederà che mediante una migliora coltura de' peschi non si otterrà altra cosa che di soddisfare meglio alla gola, procurandosi de' frutti più delicati. [Ma] un passo mena ad altri, e possiamo sperare di vedere un giorno fondato e dilucidato un sistema ragionevole di potazione per la vigna e gli ulivi, quali gli contadini tagliano tuttavia a capriccio, e senza potersi rendere ragione d'alcuna delle loro operazioni. Ne sappiamo già abbastanza per conoscere spesso che essi fanno male, un giorno verrà in cui potremo insegnar loro a far meglio."[40]
10. Il n'est donc pas tout à fait vrai que "parfois les amoureux
ne voient pas les défauts de leurs belles", comme l'affirmait le
comte Ridolfi en parlant du Tableau [41].
Certains de ces défauts, Sismondi les connaissait, mais il en minimisait
volontairement l'importance dans la rédaction de son ouvrage.
Ce qui mérite plutôt d'être remarqué, c'est
qu'entre le premier et le second mémoire d'agronomie, la sensibilité
de Sismondi envers l'agriculture toscane évolue. Alors que la diffusion
des prairies artificielles était effectivement un thème
à la mode mais pas d'une telle importance pour l'écosystème
du Valdinievole - dans le Tableau il mentionne cette expérience,
mais prévient : "Je ne devais pas m'attendre au reste à
un succès très éclatant", compte tenu du fait que
"en général, il n'y a presque pas en Toscane de terrain
susceptible d'être arrosé, qui soit destiné à
la grande culture ; le jardinage s'en empare toujours, et en chasse le
blé et les fourrages" [42]
-, le problème de la taille, bien que plus traditionnel et moins
d'actualité dans les débats des agronomes, était
vital pour ce type d'agriculture où prévalaient la vigne
et l'olivier. On peut donc supposer qu'entre un mémoire et l'autre,
Sismondi avait pris une part de plus en plus active à la culture
de ses propres terres.
Les références à cette activité pullulent
dans la section du Tableau à caractère plus poétique,
celle consacrée à la culture des collines. Sismondi nous
raconte comment il a introduit la taille expérimentale des oliviers
en la pratiquant sur ses arbres, ses tentatives (infructueuses) d'introduire
les marcottes et la taille des vignes telles qu'elles se pratiquaient
à Genève, la réalisation de treilles à la
bordelaise, la culture expérimentale des pommes de terre [43],
tandis que sa description idyllique du cadre de Vaucluse nous donne une
idée de la variété des produits disséminés
dans sa petite propriété agricole et des espèces
existantes.
La profession de foi en une méthode d'analyse entièrement
inductive, sur laquelle s'ouvre l'introduction du Tableau et qui
restera une constante dans l'approche méthodologique du Sismondi
chercheur en sciences sociales, semble trouver sinon son origine, du moins
sa première application dans ces expériences d'agronomie.
L'agriculture devenait alors la matrice servant à l'étude
des sciences de la nature et, en se convertissant en analyse des systèmes
agraires, livrait son empirisme constitutif à l'étude des
phénomènes sociaux.
Suivant probablement en cela les suggestions de son père, Sismondi
avait, avant même de retourner à Genève, rédigé
un mémoire sur l'agriculture toscane - achevé, à
en croire sa mère, le 30 juillet 1800 [44].
Mais ce n'est qu'une fois à Genève que le texte, enrichi
entre autres de ses observations de voyage et de nombreux ajouts demandés
par l'éditeur - "Le libraire qui a intérêt à
ce que le volume soit gros cherche à le gonfler par tous les moyens
qu'ils savent (sic!) mettre en usage et m'engage en outre souvent à
y faire des addictions qui l'allongent", écrivait-il à sa
mère le 19 décembre [45]
- prit sa forme définitive.
11. On a souvent fait remarquer, sur la base des informations fournies
par Paul Waeber [46]
, que le Tableau, publié dans le courant du mois de février
1801, ne rencontra que peu d'écho : la plus prestigieuse des revues
genevoises, la Bibliothèque britannique, ne lui consacra
pas une ligne ; aucun compte rendu non plus, semble-t-il, en Angleterre
- où il fut d'ailleurs mis entre les mains d'Arthur Young [47]
- ni en Italie. Néanmoins, il faut remarquer que Johannes Burger,
médecin et agronome autrichien, traduira le Tableau en 1805,
suivant "l'avouement général que [Sismondi avait] bien merité
de l'agriculture"[48],
et que le grand agronome français Alexandre-Henry Tessier, un des
membres les plus prestigieux de la Société de l'agriculture
du département de la Seine, en fera une analyse à deux occasions
différentes : dans les Annales de l'agriculture françoise,
puis dans la Bibliothèque française - du fait peut-être
que le directeur de la revue, Charles Pougens, s'y intéressait,
Sismondi étant lui-même entré en contact avec lui
pour la publication de son traité de droit constitutionnel, Recherches
sur les constitutions des peuples libres [49].
La publication du Tableau valut encore à Sismondi d'être
nommé au Comité d'agriculture de la Société
des arts genevoise (15 mars) et aussi de devenir membre du Conseil des
arts, commerce et agriculture du département du Léman (25
juin), organisme représentatif des élites économiques
et intellectuelles, nouvellement institué par le ministre de l'Intérieur
de la République consulaire française de l'époque.
Pour juger du sort qu'a connu le Tableau, il convient d'établir
une distinction entre l'aspect méthodologique et les contenus théoriques
spécifiques du texte. Du point de vue de la méthode, Sismondi
s'insérait dignement, avec cette uvre, dans le mainstream des
monographies descriptives de paysages agraires qui dans ces années-là
fleurissaient un peu partout en Europe, souvent directement sous l'égide
des milieux gouvernementaux. Souvenons-nous par exemple de l'expérience
du Board of Agriculture promu en 1793 par l'Ecossais John Sinclair,
accueillie avec enthousiasme aussi bien par la Bibliothèque
britannique que par les agronomes français : le but de cet
organisme public atypique - un genre d'observatoire agraire - était
de fournir une description exhaustive des différents districts
de l'île, partant de l'idée que seule une connaissance détaillée
des différents milieux ruraux pouvait permettre d'élaborer
une politique économique efficace [50].
Dans la France post-thermidorienne aussi, des exigences similaires se
faisaient sentir : les statistiques descriptives dont l'époque
du Consulat fut l'âge d'or trouvent en bonne partie leur source
dans les monographies agricoles et ont souvent eu recours, dans leur volonté
de parvenir à une description exhaustive du milieu socio-économique,
aux ressources des agronomes et des sociétés d'agriculture
[51]. Sismondi participa
lui-même activement à cette saison de travaux, rédigeant
peu après, à l'invitation du préfet, une "statistique"
du département du Léman, dont les liens méthodologiques
avec le Tableau sont explicites et désormais suffisamment
analysés [52].
12. Concernant les contenus théoriques les plus caractéristiques
du Tableau, on ne peut en dire autant. La description minutieuse
et convaincue des techniques et usages agricoles de la Toscane était
trop éloignée du credo agronomique des élites françaises,
toutes d'accord pour chercher à imiter les campagnes anglaises,
pour susciter autre chose qu'un intérêt épidermique
et marginal. De plus, les critiques formulées par Sismondi à
l'encontre d'Arthur Young, dieu tutélaire des études agronomiques
produites par les intellectuels groupés autour de la Bibliothèque
britannique, devaient paraître excentriques et velléitaires
à Genève.
Pour illustrer ce désaccord fondamental, l'on cite souvent un échange
épistolaire entre Sismondi et Pierre Prévost, l'un des leaders
de la polyforme intelligentsia genevoise. Mais jusqu'à présent
on s'est surtout penché sur la réponse de Sismondi, sans
analyser en détail les critiques que lui adressait le grand intellectuel
[53]. Comme elles mettent
en lumière, de façon perspicace, les deux points de vue
théoriques les plus originaux de Sismondi, il convient de les citer
en entier. L'une concerne la préférence accordée
dans le Tableau à l'industrie de la soie sur celle du papier.
"Vous me paroissez bien prouver que la fabrique de la soie est plus avantageuse à la Toscane que celle de papier: mais c'est par les considérations particulières que vous exposez dans la suite; en particulier parce que la soie occupe les femmes et les paysans oisifs dans la saison morte. Peut-être auroit-il convenu d'éviter quelques expressions trop générales: comme celle, par exemple, qui commence cet article et de laquelle on pourroit inférer qu'une fabrique n'est utile qu'en raison de l'encouragement qu'elle donne à la production de quelque matière première. De même à la page 264, on ne voit pas pourquoi vous voudrez exclure les chiffons (NB : qu'il ne s'agit plus là des risques relatifs à la santé, raison de grand poids sans doute, mais étrangère à la richesse). L'horlogerie qui n'emploie que le produit des mines est une fabrique fort utile. Une fabrique qui (comme celle de papier) convertit en belle marchandise des rebuts inutiles, (presque nuisibles), est sans doute fort précieuse. Le lecteur n'entre donc pas dans vos raisons quand elles sont ainsi généralisées. J'en dis autant de l'expression où vous comparez le nombre des ouvriers employés par les deux fabriques (de soie et de papier) p. 265, parce qu'on n'est pas averti encore (comme on l'est ensuite) que vous parlez de fractions d'ouvriers, je veux dire d'ouvriers qui n'appliquent à la fabrique en question qu'une portion quelconque de leur temps. Le zèle très louable qui vous anime me semble aussi influer sur l'exactitude de l'expression, lorsque vous affirmez p. 265 que quelques rares que devinssent les chiffons on ne sèmerait pas un champ de plus en lin ou en chanvre. Si les chiffons venoient à manquer, il faudroit bien les remplacer. Il est probable qu'on convertiroit en chiffon du linge encore assez bon pour qu'aujourd'hui on l'épargne. Il y auroit donc de nouvelles demandes de linge. Peut-être ne parlez-vous que de la Toscane, mais votre phrase en ce cas n'est-elle pas un peu trop générale ? D'ailleurs tout ce morceau me semble fort intéressant, bien senti en même temps qu'il est bien pensé" [54].
13. "Le lecteur n'entre donc pas dans vos raisons..." Certes, ces raisons pouvaient paraître obscures à qui ne savait rien, ou pas grand-chose, de la réflexion sismondienne de ces années-là. Mais à ceux qui ont eu la patience de nous suivre jusque-là, elles devraient sembler moins gratuites. Comme dans l'ouvrage précédent, Les Ressources de la Toscane, c'était, à travers la manufacture de la soie, en faveur du rétablissement du cercle vertueux ville-campagne, dont se nourrissait aussi le mythe des républiques médiévales italiennes, que plaidait Sismondi. Et le Tableau comme Les Ressources préconisaient, pour qu'il y ait synergie entre ces deux pôles du développement, une diffusion dans les campagnes de "l'industrie", valeur essentiellement urbaine aux yeux de Sismondi, en même temps que la reconversion en valeur productive de la rente parasitaire liée au luxe citadin. Le chapitre qui suit immédiatement celui traitant de l'industrie de la soie, où Sismondi déplore que les "gens aisés" ne vivent pas à la campagne, a un lien logique très étroit avec ce qui le précède : comme il l'avait écrit dans Les Ressources, ce n'est pas en obligeant les riches propriétaires "à tenir sur pieds les mêmes domestiques, à vivre dans les villes, et avec le même faste, qu'on obtiendra d'eux le soulagement de la nation. Qu'ils se retirent au contraire dans leurs campagnes, qu'ils se réduisent au juste nécessaire [...] et qu'ils consacrent toutes leurs épargnes à faire travailler des ouvriers productifs, d'utiles artisans" [55]. C'était d'autre part en s'interrogeant sur les liens entre bourgeoisie des communes libres et noblesse féodale que Sismondi abordait dans ces années-là le problème de la décadence de la liberté en Italie [56]. La seconde observation de Prévost - qui est aussi la plus connue car elle est reprise par Sismondi dans sa réponse - touche à la préférence accordée dans le Tableau à la petite agriculture sur la grande, préférence que Sismondi justifiait en citant l'exemple des rentes de capitaux, dont la croissance est inversement proportionnelle "à celle de la prospérité du commerce en général".
"En contestant la justesse de la comparaison - écrivait Prévost - je n'entends point attaquer la conséquence qu'on en tire. Les profits des fonds sont inversement proportionnels à l'accroissement de la richesse nationale. Cette loi suffit peut-être (avec les causes accidentelles dont il est inutile de parler) pour expliquer les faits indiqués relatifs au commerce. La même loi ne peut manquer de s'appliquer aux fonds employés à la culture. Quant à la question des grandes et petites fermes ou propriétés, elle dépend, à ce qu'il me semble et dans les principes mêmes de l'auteur, d'élémens différens. Il y a à considérer l'accroissement de la richesse, et quelques autres sources de bonheur et de force. Tout ceci n'a pas besoin d'être développé et je l'abandonne au jugement et à la méditation de l'auteur. Si les fonds employés à Londres dans le commerce et dans les ateliers produisent moins qu'en tel autre lieu, ce n'est pas que les entreprises s'y fassent moins en grand qu'ailleurs. Il est probablement impossible (par aucun autre moyen que la liberté) d'assigner l'époque et la limite auxquelles les entreprises de tout genre sont plus profitables. Il semble, par exemple, que la division ou le morcellement usité en Toscane convient très bien à ce pays-là. En particulier les emphytéoses me semblent y conduire. Etc." [57]
14. Prévost invitait l'auteur à séparer l'analyse
économique de considérations non économiques, et,
sans rien objecter à la distinction établie entre profit
individuel et produit brut, entre gain personnel et prospérité
générale, mettait le doigt sur une bévue incroyable
de la part du lecteur attentif d'Adam Smith qu'était alors Sismondi
: le fait d'inférer du cours des rentes de capitaux sur les marchés
que les grandes entreprises sont dommageables. L'assertion selon laquelle
ceux-ci croissaient en raison inverse du progrès général
était totalement indépendante de la taille de l'entreprise
et dépendait au contraire, comme Prévost n'allait pas tarder
à le répéter, de cette autre conviction : "Les salaires
des ouvriers sont en raison directe des progrès" [58].
Les pages du Tableau dont il est question ont été
surtout lues et commentées en référence à
une idée de fracture latente entre économie individuelle
et économie collective, idée derrière laquelle se
cacheraient des conclusions auxquelles l'économiste de la maturité
apportera des arguments bien différents. Mais le lapsus calami
relevé par Prévost mérite peut-être plus l'examen
que cette oscillation entre individuel et collectif. Celle-ci, en effet,
se justifie par la lecture de l'économie politique que fait Sismondi
lorsqu'il aborde Smith pour la première fois : l'optique de l'auto-organisation
individualiste de la société civile prévaut alors
sur celle de l'autocomposition des intérêts, et les motivations
constitutionnelles et éthiques priment sur les motivations plus
strictement économiques. En revanche, la façon dont il associe
imprudemment les rentes copieuses des capitaux employés dans les
marchés en état d'asphyxie à la grande propriété
met en lumière un aspect fondamental de la personnalité
du jeune intellectuel : une aversion aussi profonde qu'inavouable pour
tout ce qui s'étend au-delà de la perspective que peut embrasser
le regard du spectateur.
Conformément à l'idée que le petit propriétaire
est celui qui pratique le mieux l'agriculture intensive - "Chacun d'eux
emploierait toute son industrie, écrit Sismondi, à faire
produire à son petit héritage tout ce qu'il serait capable
de fournir" [59] -
le Tableau se présente comme un écheveau que l'on
dévide en cercles concentriques successifs et où la force
d'attraction s'exerce vers le cercle plus petit. Sismondi confie à
la Toscane la charge de représenter l'Italie; il en décrit
ensuite en détail "la province la plus industrieuse et la plus
cultivée" : le Valdinievole ; de là il passe à une
propriété en particulier: Vaucluse. En fixant "ses regards
sur un seul petit objet, au lieu d'en embrasser plusieurs à la
fois et de généraliser ses idées", on se fera, nous
dit Sismondi, une idée plus nette et plus précise [60].
Le petit prévaut sur le grand, la miniature sur la grande fresque,
le cas individuel sur le concept abstrait. C'est d'ailleurs dans les petites
choses que se cachent les grands secrets de la nature. Si Sismondi avait
choisi d'étudier la taille du pêcher, c'est parce que cette
plante avait été "per più di un secolo il soggetto
dell'attenzione la più sostenuta e la più esatta [...].
Si è colta in una maniera in lui la natura sul fatto" [61].
15. "Prendre la nature sur le fait" : voilà où nous amène
l'étude scrupuleuse des phénomènes les plus petits
et les moins apparents. Cette expression de Sismondi mérite une
brève digression.
L'extrêmement petit s'était imposé dans le débat
philosophique du XVIIIe siècle quand en 1740 le jeune Genevois
Abraham Trembley avait attiré l'attention sur une espèce
de plante aquatique qui, à un examen plus attentif, affichait tous
les comportements d'un animal. La particularité de ce zoophyte
d'eau douce était en outre de se reproduire à l'infini par
simple division. L'importance de cette découverte, passée
immédiatement du domaine de la zoologie à celui de la métaphysique,
résidait dans le fait qu'elle mettait en question la traditionnelle
division entre vie végétale et vie animale, et faisait naître
une série d'interrogations sur la structure de la matière.
Nous ne passerons pas ici en revue les réflexions disparates auxquelles
l'hydre de Trembley a donné naissance; ce qu'il importe de savoir,
c'est que la mode de l'hydre provoqua un changement de grande importance
dans les modèles téléologiques inspirés de
la nature. "L'accent se déplace, passant de la cosmologie à
la biologie [...], des lois susceptibles de calcul de la science mathématique
newtonienne à l'enchevêtrement, non susceptible de calcul,
de la nature organique"[62].
Qui sait si Sismondi a jamais réfléchi à cette découverte,
dont le compte rendu était au nombre des livres que possédait
son père [63]
? Ce qui est sûr en tout cas, c'est que, sans adhérer à
ses conclusions les plus conséquentes - le matérialisme
qui, par exemple, poussait Diderot à admirer "la divinité
empreinte dans l'il d'un ciron" - Sismondi est très proche de
cette façon de peindre la "nature". Quand dans les premières
lignes du Tableau il rappelle que "la terre rend à son cultivateur
l'affection qu'il lui témoigne, qu'elle s'intéresse comme
lui à la réussite de ses expériences" [64],
il semble se référer, plus qu'à une nature organique,
à une nature "animée".
La nature à laquelle se réfère Sismondi ne se soumet
pas aux lois rigides de la géométrie, n'obéit pas
à un schéma préconçu, mais est un principe
vital qui possède en soi les règles de son organisation
: le Tableau "donne la date", comme l'affirmait Sainte-Beuve, non
seulement d'un point de vue littéraire, mais en ce qu'il reflète
une conception précise du naturel.
La convergence, dans le cours du XVIIIe siècle, du nouveau goût
esthétique et d'une conception différente de la nature avait
donné naissance à un nouveau type de jardin. Le jardin "à
la française", rendu célèbre par l'architecte-paysagiste
Le Nôtre et son aménagement du parc de Versailles, avait
été supplanté en quelques années par la mode
du gardening anglais, où l'intervention de l'homme se dissimulait
derrière les effets naturels.
"Que fera donc l'homme de goût qui vit pour vivre, qui sait jouir
de lui-même, qui cherche les plaisirs vrais et simples, et qui veut
se faire une promenade à la porte de sa maison ?", se demandait
Rousseau dans La Nouvelle Héloïse. "Il la fera si commode
et si agréable qu'il s'y puisse plaire à toutes les heures
de la journée, et pourtant si simple et si naturelle qu'il semble
n'avoir rien fait [...] Il ne donnera rien à la symétrie
; elle est ennemie de la nature et de la variété" [65].
16. Vaucluse est elle aussi une "ferme ornée", où les réminiscences
rousseauistes semblent se confondre avec les leçons des gentlemen
farmers anglais. Traversée par "un ruisseau que les ardeurs de
l'été ne mettent jamais à sec", elle accueille en
son sein toutes les variétés de la nature : à droite,
un "coteau rapide exposé en plein nord"; à gauche, un jardin
où "le soleil darde avec force ses rayons les plus ardens"; tout
autour, les gradations naturelles de la colline. Les sentiers, loin de
casser la perspective paysagère, suivent les détours de
la source, bordés de coudriers et d'aulnes; comme pour souligner
la continuité avec la nature extérieure, sa frontière
se confond avec la campagne environnante, et "la scène mouvante
qu'[elle] présente anime la perspective" [66].
Toute notion de nature est prescriptive au regard des modèles de
société contemporains ; or elle l'est d'autant plus entre
le XVIIIe et le XIXe siècle, quand tout projet de vie collective
aspire à s'adapter aux règles naturelles. Le landscape garden
à l'anglaise, et son appel à la liberté contre la
règle, apparaissait à l'époque comme le symbole du
système libéral anglais, opposé au modèle
autoritaire et sélectif de la monarchie française [67].
La même métaphore vaut-elle aussi pour Sismondi ?
Si nous nous rapportons à ses écrits contemporains de théorie
politique, la première impression qu'on en tire est qu'il faut
avancer avec prudence dans la comparaison. L'Etat mixte-représentatif,
qui prend exemple sur l'Angleterre constitutionnelle, tire son essence
de l'interaction des divers corps sociaux qui, par leur friction, assurent
le fonctionnement du collectif. Le modèle est mécaniste,
et non pas organique ; la métaphore appropriée est celle
de l'horloge, et non pas du jardin [68].
Et pourtant : quand Sismondi défend l'idée du caractère
expérimental de la science du gouvernement, il se réfère
à la terre ("L'homme à systèmes en nous élevant
dans les airs nous fait perdre la terre de vue, cette terre même
sur laquelle nous devons bâtir"); pour montrer combien est absurde
l'axiome qui veut qu'on puisse contraindre un peuple à être
libre, il cite l'exemple d'"un arbre qui semble ramper sur la terre" en
déparant le verger ("Ne tentez pas, dit-il, de le relever brusquement,
la violence le remproit, ou du moins lui feroit perdre toute sa vigueur,
tandis qu'un effort lent mais continu peut le ramener à son état
naturel"); les plus beaux artifices sont, comme l'a remarqué Montesquieu,
ceux où "l'art employe aussi peu de mouvemens, de force et de roües
qu'il est possible"; l'art d'entretenir les jardins est invoqué
pour contrer l'axiome rousseauiste de l'irréductible distance entre
nature et art ("Tous les arbres fruitiers que nous cultivons sont originaires
de deux ou trois provinces de l'Asie, que la nature a favorisées
; ils ont été perfectionnés par nos travaux, et on
doit les regarder comme les produits de l'industrie humaine") ; quant
à la renaissance de la liberté en Italie, elle représente
"les germes de cette liberté dont nous jouissons", "les
germes de la grandeur et de la félicité des peuples
à venir" [69].
17. Plus qu'aux gouvernements représentatifs prenant exemple sur
celui de l'Angleterre, la métaphore du jardin s'applique peut-être
à ceux qui pratiquent des formes de démocratie directe:
bien que nettement inférieurs aux premiers "pour la symétrie,
pour la précision de l'équilibre", ceux-ci surpassent tout
autre modèle pour l'exubérance de leur passion de la liberté
et de leur amour de la patrie [70].
"L'on appelle souvent la Toscane le jardin de l'Italie", écrit
lui-même Sismondi dans le Tableau, "c'est presque dire celui
de l'Europe" [71].
Là plus qu'ailleurs, les différences de relief - plaine,
colline, montagne - engendrent une multiplicité de produits agricoles
et de formes sociales et donnent vie à un ensemble harmonieux dont
les particularités sont valorisées : là, "la variété
ne tue pas l'unité, et l'unité n'est pas monotonie", dira
plus tard Giuseppe Montanelli en lecteur attentif de Sismondi [72].
La Toscane apparaît comme le cadre naturel le mieux placé
pour accueillir la liberté politique, qui pour Sismondi se réalise
là où toutes les divisions de la nation sont "tellement
prévues et combinées par la constitution qu'aucune d'elles
ne peut être privée de sa part à la souveraineté
ou opprimée par les autres" [73].
Et pourtant la Toscane aujourd'hui ne connaît pas l'art des jardins.
Peut-être - Sismondi ne le dit pas - l'a-t-elle connu autrefois,
aux jours héroïques de la liberté républicaine,
quand les capitaux accumulés dans le commerce revenaient irriguer
les campagnes, élevant des ponts, ouvrant des routes, creusant
des canaux et des digues. La Toscane peut alors nous dire que la vérité,
qui s'est offerte en d'autres temps aux hommes dans la Nature, aujourd'hui
se donne à nous dans l'Histoire. Le législateur averti,
comme le gardener des pittoresques perspectives à l'anglaise, en
suivra les rythmes, en repérera les incrustations, et surtout cherchera
à la présenter dans son intégrité, même
lorsqu'il interviendra pour faire en sorte qu'elle reste vitale.
Le mythe de la civilisation toscane, avant d'être célébré
dans l' Histoire des Républiques italiennes, est né
avec le Tableau et a vu le jour dans un jardin.
* - Traduit par Nicole Thirion (Paris), ce texte représente l' Introduction à la réimpression anastathique du Tableau de l'agriculture toscane, avec un Avant- propos de Jacqueline de Molo-Veillon (Genève, Slatkine, sous presse).
[1] - Entre 1797 et 1801 Sismondi avait travaillé à un traité de droit constitutionnel, resté inédit pendant plusieures annés à cause de l'avènement de Bonaparte: cf. Recherches sur les constitutions des peuples libres, publ. par M. Minerbi, Genève, 1967.
[2] - A. Aftalion, L'oeuvre économique de Simonde de Sismondi, Paris, 1899, p. 20.
[3] - Cf. Sainte-Beuve, "Sismondi", in Nouveaux Lundis, VI, Paris 1866, pp. 37 et 32. Pour les chapitres du Tableau, voir p. 36-38, 102-105, 219-224.
[4] - I. Vissière, "Sismondi à Pescia : l'exil ou le royaume ?", in Sismondi esule a Pescia : i tempi e i luoghi, Pescia, 1997, pp. 77-91.
[5] - J.C.L. Simonde de Sismondi, Tableau de l'agriculture toscane, reprint Firenze, Irpet, 1980, avec en annexe l'essai de S. Bartolozzi Batignani, "Il Sismondi del Tableau" (pp.333-369).
[6] - Cf. sous la direction de R. Tomassucci, Sismondi e l'agricoltura della Valdinievole nell'800. Catalogo della mostra, scritti, documenti, immagini, Pescia, 1982.
[7] - Sismondi, Quadro dell'agricoltura toscana, sous la direction de G. Rossi, Pisa, 1995.
[8] - Cf. respectivement H.O. Pappe, "Some notes on Sismondi's Tableau de l'agriculture toscane", in Genève et l'Italie, sous la direction de L. Monnier, Genève, 1969, pp. 229-246, et P. Waeber, "La place du Tableau de l'agriculture toscane dans l'uvre du jeune Sismondi", in Musées de Genève, n° 211, janvier 1981, pp. 7-12. A ce dernier nous devons aussi la plus élaborée des biographies de Sismondi concernant les années de jeunesse : Sismondi. Une biographie, I. Les devanciers et la traversée de la Révolution. Chroniques familiales (1692-1800), Genève, 1991, biographie dont nous avons constamment tenu compte dans notre analyse.
[9] - Cf. pp. X et 6.
[10] - Par exemple, Recherches sur les constitutions, op. cit., Liv. I, chap. II, p. 91, où Sismondi critique d'une manière implicite le légicentrisme de la Révolution.
[11] - C'est l'explication étymologique que donne Sismondi dans le Tableau : cf. p. 219 note 1.
[12] - Preuve en est certaines annotations concernant la famille des Sismondi de Pise que certains éléments du contexte permettent de dater de l'hiver 1795 : cf. Biblioteca comunale di Pescia, Fondo Sismondi (dorénavant : BCP, FS) Mss. 22, n° 27, ff. 114, 115 et 117. Par ailleurs, père et fils signent l'acte de vente de la ferme de Vaucluse en 1797 sous le nom de "Simonde Sismondi" : cf. M. Stanghellini Bernardini, "Sismondi livellario del conservatorio di San Michele di Pescia", in Sismondi esule a Pescia, op. cit., p. 64..
[13] - Cf. Dupuigrenet-Desroussilles, "Sismondi et le goût du bonheur (esquisse de psycho-analyse)", in Economies et sociétés, X, 1976, p. 1320 note 6. Concernant le poème de Dante, voir l'Enfer, c. XXXIII, vv. 31-33.
[14] - Epistolario, I , présenté par C. Pellegrini, Firenze, 1933, p. 335.
[15] - Les deux lettres, datées respectivement du 5 juin 1800 et du 30 mars 1801, sont conservées à la BCP, FS, II versamento.
[16] - Je me permets de reprendre ici quelques observations déjà faites dans mon livre Una biblioteca ginevrina del Settecento. I libri del giovane Sismondi, Roma, 1983, pp. 96-98.
[17] - La Constitution de l'Angleterre du représentant genevois, un des traités du gouvernement mixte anglais les plus remarqués sur le continent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, avait été publiée à Amsterdam en 1771 ; Sismondi en possédait une traduction anglaise imprimée à Londres en 1789.
[18] - A propos de la traduction et de la diffusion de cette uvre, cf. J. Voisine, J.-J. Rousseau en Angleterre à l'époque romantique. Les écrits autobiographiques et la légende, Paris 1956, p. 100.
[19] - Voir Recherches sur les constitutions, op. cit. et en particulier le Liv. I, ch. V et VI, et BCP, FS, Nuovo versamento, Diari di Henriette Girodz Sismondi, n.3, à la date du 14 septembre 1798 : "We have begun today Rousseau's Emile, Charles is a great admirer of the author, and a passioner for the nature of the work".
[20] - J. Voisine, J.-J. Rousseau en Angleterre, op. cit., p. 437.
[21] - Cf. pp. 294-297.
[22] - Op. cit. in Jean-Jacques Rousseau. Le philosophe botaniste, Musée de Montmorency, 1996, p. 48.
[23] - J.C.L. Sismondi, Fragments de son journal et correspondance, publié par Mlle de Mongolfier, Genève-Paris, 1857, pp. 65-66.
[24] - BCP, FS, B21, b 26/5, Schizzi per un foglio periodico nella maniera del Spettatore, n° 1, ff. 50-52. Sur ce projet de journal, élaboré par Sismondi probablement en 1797, mais non mené à bien, cf. P. Waeber, Sismondi. Une biographie, op. cit., pp. 240-246.`
[25] - I. Vissière, Sismondi à Pescia, op. cit., p. 82.
[26] - BCP, FS, B6, b.6, Saggio per la Reale Accademia dei Georgofili sulla coltivazione delle piante da frutto e delle spalliere, f. 54 (le mémoire est aussi conservé sous le titre Saggio sulla cultura dei peschi a spalliera à l'Accademia economico-agraria dei Georgofili de Florence, b.97 n°356). L'Accademia annonçait la présentation de ce mémoire dans la Gazzetta toscana, n° 19, 14 mai 1798, p. 73. Concernant les vers de Virgile, cf. Bucolica, I, v. 70-73.
[27] - Schizzi per un foglio periodico, op. cit., f. 54.
[28] - Cf. pp. 285-287.
[29] - Ce texte a été publié en annexe à G. Turi, "Viva Maria". La reazione alle riforme leopoldine, 1790-1799, Firenze, 1969, pp. 319-347. Sur ce même sujet, outre les observations faites pour la première fois par E. Passerin d'Entrèves dans "Un inedito saggio sui problemi dell'economia toscana all'inizio dell'occupazione francese del 1799", in Rassegna storica del Risorgimento, XXXVIII, 1951, pp. 547-562, voir aussi S. Bartolozzi Batignani, "La Toscana all'inizio dell'invasione francese in un saggio di Sismondi", in La Toscana e la rivoluzione francese, sous la dir. de I. Tognarini, Napoli, 1994, pp. 597-607. Comme le suggère le journal de sa mère, le texte devait être publié à Livourne par l'intermédiaire du banquier Senn - probablement Pietro, comme me le suggère l'ami Alessandro Volpi - et ce n'est qu'à l'automne, après l'arrestation et la libération définitive de Sismondi, qu'il fut envoyé à l'Accademia dei Georgofili (BCP, FS, Nuovo versamento, Diari di Henriette Girodz Sismondi, n° 3, 2 juin et 28 octobre 1799).
[30] - Voir Tableau, p. 48, note 1.
[31] - Les Ressources de la Toscane, op. cit., p. 320.
[32] - E. Passerin d'Entrèves, "Un inedito saggio sull'economia toscana", op. cit., p. 549.
[33] - "Le travail productif est celui qui augmente la valeur de la matière qui en est l'objet, en sorte que l'ouvrage achevé ait autant gagné de prix que l'on a dépensé de travail pour le faire" (Les Ressources de la Toscane, op. cit., p. 324 note).
[34] - P. Schiera, "Presentazione" de J.C.L. Simonde de Sismondi, Storia delle repubbliche italiane, Torino, 1996, p. XXXI.
[35] - Les Ressources de la Toscane, op. cit., pp. 328 et 330.
[36] - Cf. ibid., pp. 330-335 et 337-339, ainsi que Tableau, pp. 263-273.
[37] - Ibid., p. IX.
[38] - Voir surtout BCP, FS, B21, b. 26/1-2 et 4, Rules on Agriculture and Gardening Drawn from Several French Books. J'ai essayé de dresser une liste des uvres d'agronomie et de botanique connues de Sismondi dans mon livre Una biblioteca ginevrina del Settecento, op. cit., p. 100-102.
[39] - Du mémoire Saggio sugli prati e sulle gramigne il existe deux versions : la première, incomplète, se trouve à la BCP, FS, Mss. 11, n° 19, ff. 1-43r; la seconde, enrichie, est conservée à l'Accademia economico-agraria dei Georgofili, b.90, n° 44. La lettre qui accompagne l'envoi de son texte à Lastri, datée du 1er février [1797] est à la Biblioteca Riccardiana e Moreniana de Florence, Mss. Frullani, 40, ff. 360r-361r. L'admission de Sismondi en qualité de membre correspondant de l'Accademia date du 2 août 1797 : cf. S. Bartolozzi Batignani, "Il Sismondi del Tableau", op. cit., p. 347. Concernant l'importance des prairies artificielles dans le débat agronomique de la seconde moitié du XVIIIIe siècle, cf. A.J. Bourde, Agronomie et agronomes en France au XVIIIe siècle, 2 vol., Paris, 1967, I, pp. 268 et suiv.
[40] - Le brouillon de la lettre, s.d. mais datant des premiers mois de 1798, est à la BCP, FS, B6 n°6. A propos du mémoire, voir la note 26.
[41] - Gian Pietro Vieusseux avait fait part de cette remarque à Sismondi dans une lettre du 29 juin 1836 : cf. A. Frènes, "Jean-Pierre Vieusseux d'après sa correspondance avec J.C.L. de Sismondi" in Revue internationale, XVII, 1888, p. 715.
[42] - Tableau, pp. 188 et 28.
[43] - Ibid., pp. 117, 133, 139, 141, 144-148, 186, ainsi que BCP, FS, B21, b.26/2, ff. 143-146: "Expériences sur la plantation des pommes de terre à Vaucluse au printemps 1800".
[44] - "The Priest Michele was breakfasted with us and stay'd the whole morning with Charles who has read him part of a little work he has just finished on the Tuscan Agriculture. He has read it him in Italian, but it is written in French" (BCP, FS, Diari di Henriette Girodz Sismondi, n°3, à la date citée). On trouve cette première et partielle version du Tableau, sous le titre Observations sur l'agriculture toscane, à la BCP, FS, B6, Mss. 11.
[45] - La lettre, qui appartient à la collection privée de Marta Chiostri (Pescia), est citée par G. Rossi dans son commentaire à la trad. ital. du Tableau (cf. Quadro dell'agricoltura toscana, op. cit., p. 196).
[46] - P. Waeber, La Place du Tableau de l'agriculture toscane, op. cit., pp. 10-11.
[47] - C'est ce que disait avoir fait Thomas Martyn, dans ses remerciements pour l'envoi de l'ouvrage (BCP, FS, A15 n° 81, lettre à Sismondi écrite à Pertenhall le 2 août 1802).
[48] - Cf. Gemählde der Toskanischen Landwirtschafts aus dem Französischen übersetz und mit Anmerkungen und Zusäten von Johannes Burger, Tübingen, 1805. L'expression citée dans le texte se trouve dans la lettre écrite par Burger à Sismondi pour lui communiquer la parution de la traduction: cfr. BCP, FS, Cass. A, b. 4 n.175 (à Wolfsberg en Carinthie, le 22 mars 1806).
[49] - Cf. Annales de l'agriculture françoise, VII, an IX (1801), pp. 275-288 et Bibliothèque française, VII, an X (octobre 1801), pp. 37-43. Concernant ses rapports avec le tribun Pougens plus ou moins à cette époque, cf. M. Minerbi, "Introduzione" à Recherches sur les constitutions, op.cit., pp. 16-18.
[50] - Sur l'expérience du Board of Agriculture, cf. R. Mitchison, "The Old Board of Agriculture (1793-1822)" in The English Historical Review, LXXIV, 1959, pp. 41 et suiv., et concernant le rôle qu'elle a joué en France pour orienter certaines études vers une nouvelle "économie politique", qu'il me soit permis de renvoyer à mon ouvrage Una scienza per l'amministrazione. Statistica e pubblici apparati tra età rivoluzionaria e restaurazione, Roma, 1988, pp. 82-92. Voir en outre ce qu'en disait la Bibliothèque britannique, sect. "Agriculture", I, 1796, pp. 31-69 et 145-155.
[51] - Cf. J.C. Perrot, S.J. Woolf, State and Statistics in France, 1789-1815, Chur-London-Paris-New York, 1984.
[52] - La Statistique du département du Léman, rédigée par Sismondi probablement entre 1801 et 1803, mais restée sur le moment manuscrite, a été publiée par H.O. Pappe (Genève, 1971)). Sur ses liens méthodologiques avec le Tableau, je renvoie à ce qu'en dit le chargé d'édition dans son "Introduction" (en particulier pp. 26-28), et aussi aux précisions et à certains ajouts au manuscrit qui ont été récemment apportés par D. Zumkeller, "Vignobles, pâturages et forêts: pages inédites de La Statistique du Département du Léman de Sismondi", in Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, XLVIII, 1998, pp. 25-40.
[53] - Il s'agit de la lettre de Prévost du 1er mars 1801 (BCP, FS, A16, n°181), publiée par H.O. Pappe, Some Notes on Sismondi's Tableau, op. cit., pp. 238-239, et de la réponse de Sismondi datée du jour suivant, qui avait déjà attiré l'attention de J.R. De Salis, Sismondi, 1773-1842. La vie et l'uvre d'un cosmopolite philosophe, Paris, 1932 (réimpression Genève, 1973), pp. 66-67, et qui fut ensuite intégrée dans l' Epistolario I, op. cit., pp. 14-16. Le même Pappe signalait qu'à la lettre étaient jointes quatre pages d'observations, se réservant de les analyser dans d'autres circonstances : trente ans plus tard, nous nous permettons de prendre possession de ces informations documentaires, à notre connaissance toujours inédites.
[54] - BCP, FS, A16, n° 181. Cf. aussi Tableau, pp. 263-267.
[55] - Les Ressources de la Toscane, op. cit., p. 346, et Tableau, pp. 274-279.
[56] - Cf. M. Minerbi, "Analisi storica e constituzionalismo in Sismondi", in Sismondi européen. Actes du colloque international tenu à Genève les 14 et 15 septembre 1973, Genève-Paris, 1976, pp. 231-232.
[57] - BCP, FS, ,
A16 n°181 et Tableau pp. 191-192. Nous rapportons à
la suite les autres observations de Prévost qui, bien que moins
importantes du point de vue du contenu, peuvent servir en quelque sorte
d'errata à cette réimpression :
- p. 11, 1.3 : La Méditerr. paraît s'élever. L'opinion
contraire semble prévaloir. On la fonde sur le port d'Auguste à
Ravenne mis à sec, sur quelques ports de Provence devenus méditerranés.
- p. 21, 1.15 : là lisez la. Cette faute arrête.
- p. 93, 1.12 : bétail. Cette plaisanterie n'est peut-être
pas au ton général du sujet et de l'ouvrage.
- p. 97, 1.6 : qui ruinent leurs biens. Cela veut-il dire qui ruinent
leurs fonds de terre ? Ou si cela veut dire qui se ruinent, pourquoi cette
tournure ? Après coup je crois que ruinent est là pour dissipent.
- p. 100, 1.19 : Ce tableau est bien intéressant et très
bien esquissé. Il y a dans cette ligne un seul d de trop.
- p. 103, 1.4 : Sa. Ce pronom se mêlant à celui qui précède,
leur, arrête à la lecture. D'ailleurs dans ce tour de phrase,
il ne peut se rapporter bien à une chose inanimée.
- p. 134, 1.18 : à raz lisez rez.
- p. 153, 1.15 : nielle. Il me semble que M. Vaucher attribue la nielle
à la disette ou au défaut de sève et d'aliment.
- p. 217 : Réflexions fort justes et fondées sur des faits
sans doute bien observés. Je remarque seulement qu'il auroit convenu
de remarquer que la baisse du prix des denrées, et la hausse de
la valeur de l'argent (événemens à prévoir)
tournent à son profit.
- p. 279 note, 1.3 : Malgré pour quoique.
[58] - Lettre à Sismondi du 3 mars 1802 (BCP, FS, A16 n°182).
[59] - Tableau, p. 189.
[60] - I. Vissière, Sismondi à Pescia, op. cit., p. 80, mais aussi Tableau, pp. 6 et 219.
[61] - Cf. le brouillon de la lettre à Marco Lastri, qui date des premiers mois de 1798, cité à la note 40.
[62] - A. Vartanian, "Il polipo di Trembley. La Mettrie e il materialismo francese del Settecento", in Roots of Scientific Thought, ed. by P.P. Wiener and A. Roland, trad. ital., Milano, 1971, p. 526.
[63] - Cf. mon ouvrage Una biblioteca ginevrina del Settecento, op. cit., p. 223 n° 425.
[64] - Tableau, p. 2.
[65] - La Nouvelle Héloïse, Lettre XI de la quatrième partie, de Saint-Prieux à Milord Edouard.
[66] - Tableau, pp. 220-221.
[67] - T. Calvano, Viaggio nel pittoresco. Il giardino inglese tra arte e natura, Roma, 1996, pp. 10-11.
[68] - Cf. Recherches sur les constitutions, op. cit., surtout Liv. II, chap. III. Cette vision mécaniste de la Constitution anglaise lui vient de Delolme : cf. J.P. Machelon, Les Idées politiques de J.L. De Lolme (1741-1806), Paris 1969, p. 63.
[69] - Cf. Recherches sur les constitutions, op. cit., pp. 79, 106, 183, 139 note 1, 193-194 (les mots soulignés le sont par l'auteur de l'article).
[70] - Ibid., p. 164.
[71] - Tableau, p. 6.
[72] - G. Montanelli, Memorie sull'Italia e specialmente sulla Toscana dal 1814 al 1850, 2 vol., Torino, 1853, I, p. 16.
[73] - Recherches sur les constitutions, op. cit., p. 86.